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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Quelle ville voyons-nous devant nous, là ?

— Cartago.

— Le chemin de fer n’y passe-t-il pas ?

— La route des Ingénieurs, en effet.

— Que veux-tu dire ?

— Je parle du chemin tracé par les Anglais sur des lignes de fer et d’acier… Rien ne t’empêche de la prendre et de gagner Limon par Orosi et Angostura. Là, tu pourras embarquer puisque tu veux partir.

— Certes, je le veux ; mais ce n’est pas cette route que j’aurais désiré prendre.

Et se tournant vers ses amis il ajouta :

— Je ne vais pas être plus avancé qu’en arrivant à Colon, puisque nous allons nous retrouver sur la rive de l’Atlantique.

— Le principal était pourtant de quitter San José, répondit sagement Murlyton.

À Cartago, les effets du tremblement de terre s’étaient fait sentir avec un peu moins de violence. Mais le public n’en était pas moins agité. Et dans le péril universel dont chaque habitant prenait sa part, on ne remarqua pas plus que les autres ces quatre voyageurs. L’affolement général était tel qu’Agostin put faire monter les mules et les bagages dans un wagon vide, qu’Armand et ses amis les y rejoignirent sans attirer l’attention, et qu’il échappa à cet autre danger d’être reconnu et ramené, comme Louis XVI à Varennes.

Le train s’ébranla. Au pied de l’énorme volcan de Turrialba, qui n’a pas loin de douze mille pieds anglais, à la station de Tucurrique, miss Aurett se rejeta vivement au fond du wagon. Elle était pale et tremblait. Et, désignant du doigt un groupe de gens venant aux nouvelles :

— Don José, dit-elle d’une voix étranglée.

— Lui, le gredin !… s’écria Lavarède en voulant s’élancer.

Mais elle l’arrêta doucement.

— Vous n’avez pas peur de lui, je le sais… mais s’il est encore en ce pays, s’il est revenu, c’est pour se venger de vous… Comme tout le monde, il a du apprendre par les dépêches télégraphiques que vous étiez gardé à vue dans le palais présidentiel… s’il voit l’un de nous, vous serez signalé, pris et ramené dans la capitale.

C’était raisonner avec justesse. Armand se rendit à ces observations et l’étape fut franchie sans obstacle. Seulement Lavarède résolut de quitter le chemin de fer, construit par les ingénieurs anglais, à quelque station inter-