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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/153

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

le Parc du Nord, Cliffhouse, l’auberge de la Falaise d’où l’on découvre un des plus admirables panoramas du monde. Ici, la cité dominée par ses trois gares d’Oakland, du South et du North-Pacific qui la relient à New-York, Mexico et aux territoires du Dominion ; là, une rade encombrée, le fort du Présidio, la mer que les voiles piquent de taches blanches et les steams de panachés gris ; de ce lointain émerge le Seal-Rock, avec ses troupeaux de phoques protégés par le gouvernement fédéral. Lavarède expliquait tout.

— Voyez, disait-il, ces bandes de verdure qui coupent le fouillis des maisons. Elles indiquent l’emplacement des cimetières de Lone-Mount, des Francs-Maçons et des Old-Fellows. C’est là que les amoureux vont parler de l’avenir auprès des pierres qui scellent le passé… comme ils le font en Orient.

Et comme Aurett faisait un mouvement.

— Que voulez-vous, miss ? tout est étrange, ici. Considérez cet îlot de constructions où les maisons semblent pressées les unes contre les autres : C’est la ville chinoise.

— Voyons la ville chinoise, mon cher cicérone.

— Entre les squares Lafayette et Alta-Plaza, s’empressa de continuer Armand, sont groupés trente pâtés de maisons, édifiées à la façon chinoise, et séparées par des ruelles étroites encombrées d’immondices. Celles des maisons qui ont été achetées toutes construites, logent maintenant dix fois plus de monde qu’auparavant. C’est là le siège des six grandes Compagnies d’immigration. Ah ! ces Compagnies !… En France on se plaint des bureaux de placement. Que pourraient dire les sujets du fils du Ciel ? Ces sociétés ont, sur toute la côte de l’empire du Milieu, des agents qui racolent les émigrants, — employés ici comme coolies, domestiques, artisans, blanchisseurs, et cœtera. On les embarque sous la seule condition qu’en cas de décès leur corps sera rapatrié.

« Notez, ajouta le journaliste, que les Compagnies ont leurs lois, leurs tribunaux, devant qui se jugent sans appel tous les conflits entre Célestes.

Il était temps de rentrer à l’hôtel. Après le repas, volontairement prolongé, une courte sieste dans le parloir conduisit les voyageurs à l’heure indiquée par le Parisien.

— Trois heures ! s’écrièrent miss Aurett et son père.

Armand s’inclina, et cinq minutes plus tard, tous trois arpentaient le trottoir de Kearny street. Le Français marchait en avant. Il semblait inspecter le terrain.