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LAVARÈDE DEVIENT « MORT »

Resté seul, Bouvreuil réfléchit tout en continuant de s’habiller :

— Ce diable d’homme a disparu, se dit-il, mais j’ai un moyen de le rejoindre. S’il est sur le point de poursuivre son voyage, les Anglais, forcés de faire route avec lui, vont sûrement le retrouver. Il s’agit donc de ne pas les perdre de vue.

À la hâte il empila pêle-mêle dans sa valise sa peu volumineuse garde-robe et quitta sa chambre. Sir Murlyton et sa fille dormaient encore. Leurs brodequins, ainsi que l’avait affirmé le garçon, s’alignaient devant leur porte.

Bouvreuil, enchanté, alla se dissimuler dans le bureau de l’hôtel, désert à cette heure matinale, et d’où il pouvait voir sans être vu. Pendant près de deux heures il attendit. La faction commençait à lui paraître insupportable, quand miss Aurett, donnant le bras à son père, se montra enfin.

Tous deux gagnèrent la rue, du pas tranquille de deux bons bourgeois qui se promènent. Certes, sans l’absence inexplicable de Lavarède, le propriétaire n’aurait pas songé à leur emboîter le pas. Mais sa méfiance, — et il en avait en proportion directe de sa duplicité, — était éveillée. Son bagage à la main, il suivit les Anglais.

Ceux-ci ne soupçonnaient pas l’usurier si près d’eux. Ils faisaient, le long du chemin, les emplettes indispensables pour la longue traversée qu’ils allaient entreprendre. Bouvreuil tressaillit d’aise en les voyant se munir d’une valise et y entasser du linge, des objets de toilette, des parfums. Décidément, ces gens étaient sur leur départ, et il se louait de sa perspicacité.

À l’angle d’une rue, les Anglais ayant tourné, il allongea le pas pour les rejoindre. Mais en débouchant sur l’avenue, il se jeta presque dans leurs bras. En l’apercevant, Aurett poussa un petit cri.

— Mon père, voyez-vous cet homme !

— Aoh ! répliqua flegmatiquement Murlyton, que fait-il là ?

— Il a sa valise.

— Comme nous la nôtre.

— Il nous suit.

— Peut-être !

Pendant ce rapide colloque, Bouvreuil avait traversé la rue, et debout sur le trottoir opposé, semblait très intéressé par la lecture d’une affiche.

— Il faut que nous lui fassions perdre notre trace, mon père.

— Vous pensez ainsi, Aurett ?

— Oui, par délicatesse envers M. Lavarède.