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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Oui, mademoiselle, et si la portion sud du territoire d’Alaska est couverte d’une végétation abondante, c’est uniquement à l’influence du Kuro-Sivo que ce phénomène doit être attribué. Sans cela, comme tout le reste de la presqu’île, la côte méridionale serait obstruée par les glaces et la flore y serait représentée par des mousses, des lichens et quelques maigres bouleaux.

— Enfin c’est quelque chose comme Roscoff en France ?

— Précisément. Seulement le « Roscoff » américain, qui fut russe autrefois, s’étend sur une longueur de quatre cents kilomètres.

Sir Murlyton complétait ces renseignements par la théorie connue des courants chauds, quand M. Craigton s’approcha d’un air embarrassé.

— Qu’avez-vous donc ? demanda M. Mathew à son second, vous ne semblez pas dans votre assiette.

— C’est qu’il se passe à bord des choses mystérieuses.

Le capitaine eut un haut-le-corps.

— À mon bord ?

— Oui, monsieur.

— Expliquez-vous.

— Je ne demande pas mieux, monsieur Mathew. Voici. Cette nuit, le matelot Fivecreek a rencontré, dans le couloir des cabines, un être qui avait la forme d’un homme.

— La forme d’un homme, s’écria le capitaine. Qu’entendez-vous par ces mots : la forme d’un homme !

— Je veux dire que c’était seulement une apparence. Fivecreek ne reconnut en lui ni un passager, ni un marin de l’équipage, et il lui demanda ce qu’il faisait à cet endroit.

— Eh bien ?

— Mal lui en prit, continua Craigton, car soudain il entendit des paroles dites en une langue inconnue… puis un froid terrible. On eût dit qu’un bloc de glace lui était appliqué sur la peau. L’impression fut si forte qu’il tomba à terre.

M. Mathew haussa les épaules.

— Fivecreek était ivre… Il a rêvé.

— Je ne crois pas, monsieur. Le premier moment de stupeur passé, le garçon se releva et poursuivit le singulier promeneur, mais celui-ci gagna le « compartiment des morts » et y disparut avec un fracas de tonnerre.

La jeune Anglaise regarda son père, moitié sérieuse, moitié souriante.

Elle devinait bien qui était l’auteur de la panique. Elle riait à la pensée