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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/198

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LAVARÈDE DEVIENT « MORT »

— J’allais dire une sottise, puisqu’il n’y a aucun matelot de votre nation à bord.

— Cela ne fait rien, qu’alliez-vous parier ? questionna la jeune fille, intérieurement ravie de voir son interlocuteur au point où elle voulait l’amener.

— Non, c’est inutile…

— Je vous en prie.

— C’est pour vous obéir alors. J’allais parier qu’un Anglais ne se montrerait pas plus tranquille que mes hommes. Vous le voyez, le pari était platonique, puisque mon navire ne porte aucun natif de la Grande-Bretagne.

Le visage d’Aurett était devenu grave.

— Je ne suis qu’une jeune fille, dit-elle en affectant un grand sérieux, mais je tiens le pari. Moi, je ferai ce qu’aucun de vos matelots ne ferait, et j’espère ainsi les rassurer.

— Vous ! s’écrièrent tous les assistants ébahis.

— Moi-même.

Et comme les convives l’interrogeaient du regard, l’Anglaise poursuivit :

— Le pari est-il tenu ?

— Oui, Mademoiselle.

— Fixez vous-même l’enjeu.

— Dix dollars.

— Bien. Alors, capitaine, veuillez rassembler l’équipage sur le pont et lui faire la proposition que je vous soumettrai au dernier moment.

M. Mathew parut interloqué.

— Il est entendu n’est-ce pas, mademoiselle, que vous ne demanderiez que des choses possibles.

— Naturellement. Puisque je m’engage à faire ce que je réclamerai de vos hommes. Vous ne supposez pas que je me livrerais à des fantaisies dont une personne bien élevée aurait à rougir.

Rassuré par cette déclaration, le capitaine promit, et le café dégusté, il monta sur le pont, suivi des passagers, curieux de savoir ce qui allait se passer. Ceux-ci, du reste, suivant la coutume américaine, engageaient des paris à leur tour. Les dix dollars de M. Mathew en mettaient mille en mouvement. Sur l’ordre transmis par le second, le sifflet des quartiers-maîtres appela l’équipage « en haut ». De la mâture, de l’entrepont, les marins obéirent à l’appel et se placèrent sur deux rangs, en face du groupe que formaient les officiers et les passagers. Alors miss Aurett se pencha à l’oreille de M. Mathew et prononça quelques mots à voix basse. Le capitaine eut un geste de surprise, puis prenant son parti, il s’adressa aux marins :