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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Non, non, ma chère et bonne petite sœur, il n’y a rien que de très amical et de très gentil dans tout ceci. Les seuls sentiments que j’éprouve sont la reconnaissance et le respect.

Le ton n’était peut-être pas tout à fait d’accord avec les paroles, la voix d’Armand tremblait légèrement, mais Aurett, qui, en posant sa question, avait cédé à un mouvement de coquetterie, lui sut un gré infini de sa réserve. Qu’importait désormais d’être seule avec lui ? Une sœur n’a rien à craindre de son frère. Elle pensait qu’avec ce seul mot il avait réduit à néant les velléités de médisance qui eussent pu se produire. Tous deux, du reste, avaient conscience que le terrain était brûlant. Ils changèrent de conversation. Ils discutèrent longuement sur les divers moyens de rentrer en Europe, une fois qu’ils auraient atteint la Chine.

Lavarède projetant de gagner Shanghai et de s’engager comme matelot à bord d’un des vapeurs à destination de la Grande-Bretagne. La chose était facile, car les autorités chinoises faisant tous leurs efforts pour retenir les marins à terre, surtout depuis que la réfection de la marine est à l’ordre du jour dans l’empire du Milieu, les équipages des steamers venus d’Europe sont rarement au complet au moment du retour.

Aurett approuvait ce plan qui semblait facile à réaliser. C’était même le seul qui fût pratique, comme le fit remarquer Armand. Impossible, en effet, de gagner l’Europe par la voie de terre. Il aurait fallu parcourir plus de sept mille kilomètres à travers des régions peu connues, au milieu de populations hostiles ou de déserts glacés.

Ce sujet de conversation épuisé, les jeunes gens n’échangèrent plus que de rares paroles. Miss Murlyton sentait le sommeil la gagner. Ses paupières alourdies se fermaient malgré elle. Lavarède s’en aperçut :

— Dormez, lui dit-il doucement, dormez, petite sœur.

Elle lui sourit et, confiante, s’endormit sous la garde de son ami.

Elle fut réveillée au matin par la voix de son père. Le gentleman, fâché de ne pas la voir, heurtait fortement la porte du compartiment. D’un regard rapide elle s’assura qu’Armand avait regagné sa cachette et, tranquille de ce côté, elle ouvrit.

— Quelle heure est-il donc ? demanda-t-elle à sir Murlyton que le second accompagnait.

— Six heures, il fait grand jour, et je commençais à m’inquiéter…

— Vraiment j’ai dormi si longtemps ?

M. Craigton eut un cri de stupéfaction.

— Vous avez dormi, mademoiselle ? Aoh !