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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

des francs-maçons européens ont été inventées par elle. Ainsi, lorsqu’un néophyte veut être admis dans la Tien-Taï, également connue sous le nom de Triade et de Ligue universelle, il doit se rendre au « camp des fidèles » et se présenter à la « Porte de l’Orient ». C’est là que se tient l’exécuteur des hautes œuvres, dont le glaive nu est toujours prêt à s’abattre sur la tête des profanes assez audacieux pour s’introduire sans autorisation dans l’enceinte sacrée. Le nouveau venu est vêtu de blanc ; en principe, il doit porter une robe neuve, mais s’il est trop pauvre, la Société lui épargne cette dépense à la seule condition qu’il ait fait nettoyer son costume ordinaire avec le plus grand soin. Son épaule droite et ses genoux sont nus ; au lieu de tresser ses cheveux en nattes, il les laisse flotter librement sur sa nuque, afin de montrer qu’il proteste contre la domination tartare. Avant de franchir la porte sacro-sainte, le néophyte paye sa cotisation qui s’élève à dix-sept francs cinquante centimes. Cette indispensable formalité une fois accomplie, huit membres de la ligue le font passer sous une voûte de glaives entrelacés.

— Très curieux, déclarèrent les passagers d’une commune voix.

L’Anglais, enchanté de l’effet qu’il produisait, continua :

— Le catéchumène s’avance en tremblant dans l’enceinte mystérieuse. Le voici arrivé au pavillon des Fleurs Bouges, où les fidèles purifient leur âme dans les eaux puisées au fleuve Sam-Ho, sur les bords duquel se sont réfugiés les « cinq ancêtres », persécutés par l’ingratitude de l’empereur et les intrigues de son indigne favori Tan-Sing. Le néophyte parcourt ensuite le cercle du Ciel et de la Terre et traverse le Pont à deux Planches gardé par le « Jeune Homme rouge » armé d’une lance destinée à transpercer les profanes qui ont échappé à l’œil vigilant du gardien de la Porte de l’Orient. De l’autre côté de ce redoutable passage se trouvent le Marché de la Paix universelle, le Temple du Bonheur, la Cité des Saules et le Jardin des Pêchers ; c’est la le siège du Grand-Maître. Au moment où commence la cérémonie, le spectacle devient imposant, la voûte des épées se forme de nouveau sur la tête du néophyte. Il se met à genoux, prête un serment en trente-six articles et déclare que tous ses parents sont morts. Dans la langue des initiés cette formule signifie qu’un membre de la ligue ne reconnaît plus de liens terrestres. Après avoir fait cette déclaration, le catéchumène se prosterne au pied du trône du Grand-Maître, et les huit épées qui étaient entrelacées au-dessus de sa tête s’appuient sur son épaule nue. On lui présente une coupe d’arrack, il mêle à ce breuvage quelques gouttes de sang qu’il fait couler de son bras dont l’épiderme vient d’être effleuré d’une