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DES SANDWICH À LA CÔTE CHINOISE.

saient sourire ; et elle s’avouait ingénument qu’aucune partie du navire ne lui paraissait aussi agréable que « la chambre du sommeil ». C’est par cet euphémisme qu’elle désignait le compartiment jaune.

Cependant le Heavenway marchait toujours. Le 4 septembre il entra dans le détroit de Diémen, situé entre l’extrême pointe de l’île Kiou-Siou, limite méridionale du Japon, et les îles chinoises de Lieou-Kieou. Le lendemain soir, il atteindrait Nagasaki, et la jeune Anglaise se réjouit à cette nouvelle que lui donna M. Mathew. Sans encombre la traversée était presque terminée.

La nuit venue, une nuit sombre, sans lune, Aurett selon sa coutume avait conduit son père sur le pont en attendant l’heure où il serait possible de descendre auprès de leur ami. Seulement les passagers ne semblaient pas disposés à s’aller coucher. Accoudés sur le bastingage, ils regardaient la surface de l’océan. On eût dit qu’ils attendaient un phénomène trop lent à se produire. La jeune Anglaise s’informa ; mais, avant que la personne interrogée par elle eût répondu, une voix s’était élevée :

— Voici ! voici ! criait-elle, all right.

Miss Aurett, jetant les yeux sur la mer, avait compris. Le Heavenway voguait au milieu d’un océan d’or en fusion. Un instant séparées par le passage du navire, les eaux se rejoignaient en arrière formant un tourbillon d’écume lumineuse. Et le remous se propageait, inondant la crête des lames d’un diadème éclatant. La phosphorescence, que la présence d’une algue particulière rend fréquente dans ces parages, augmentait d’intensité à chaque minute, et sur les vagues noires s’étendait un tapis de lumière.

Des matelots montaient sur le pont, chargés d’objets sans valeur ; ferrailles, bouteilles vides, et les jetaient par-dessus bord. Au choc, les gouttelettes liquides s’élevaient comme une volée de lucioles.

Durant plus de deux heures le phénomène se produisit. Passagers et matelots oubliaient le sommeil en présence du merveilleux spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Puis, la mer s’éteignit et tous, la tête un peu lourde, la vue fatiguée par cette débauche lumineuse, regagnèrent, qui leur cabine, qui le poste de l’équipage. Miss Aurett retint son père qui aurait volontiers suivi le mouvement.

— Attendons, dit-elle, n’oublions pas que monsieur Lavarède compte sur notre visite.

— Il est bien tard, fit remarquer sir Murlyton, et je crois qu’il serait mieux de remettre à demain…

Mais elle se récria :