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DES SANDWICH À LA CÔTE CHINOISE.

— Ah ! s’écria la jeune fille, je comprends.

— Je change de numéro ; la plaque de mon voisin sur mon cercueil et je suis quarante-huit, la mienne sur le sien, il est quarante-neuf. C’est lui que ses compatriotes lesteront de saumons de plomb et enverront faire l’excursion sous-marine dont ils me menaçaient.

Quelques secondes plus tard, la substitution était opérée et Lavarède enchanté souhaitait le bonsoir à son adversaire. La pression de main de miss Aurett fut plus longue que les autres jours. Ces affreux Chinois avaient fait si grand’peur à la fille du gentleman qu’elle était excusable d’oublier ses doigts effilés dans ceux d’un homme aimable, qui se tirait comme en se jouant des passes les plus difficiles.


Nagasaki.

Le 5 septembre, sous petite vapeur, le Heavenway doubla le cap Long qui masque et abrite la ville de Nagasaki, chef-lieu du ken ou gouvernement du même nom et l’un des sept ports japonais ouverts aux Européens.

Comme toutes les jeunes filles, miss Aurett avait lu l’œuvre de Pierre Loti. Elle eut un sourire en apercevant l’agglomération de maisons minuscules qui composent la ville et qui, entourées de collines verdoyantes, paraissent d’une exiguïté ridicule. Petites habitations, petites gens, appartements formés de cloisons mobiles en papier ; poissons rouges, toujours en papier, suspendus à des perches en signe de réjouissance, enfin tout ce qui fait la vie japonaise, défila devant ses yeux dans le souvenir d’une lecture, et cependant bientôt elle devint sérieuse.

C’est qu’à côté de ces détails risibles, elle sentait l’effort d’un peuple intelligent et laborieux, possédé du désir de rattraper les civilisations d’Occident. C’était d’abord, à l’entrée du port, le phare d’Ojesaski, dont le feu est visible à quarante-deux kilomètres ainsi que le lui expliqua M. Mathew ;