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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/255

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

vous avoir avoué plus tôt. Un pari est engagé, je devais me taire jusqu’à ce que le sort eût prononcé. Aujourd’hui, hélas le sort a parlé. Il va mourir, je veux être là, auprès de lui, protéger son corps contre les injures de la multitude, lui assurer une sépulture, et après ?…

Aurett s’était arrêtée, étranglée par l’émotion.

— Après ? répéta anxieusement le gentleman.

Pour toute réponse, elle se jeta dans ses bras et éclata en sanglots.

À force d’éloquence, sir Murlyton réussit à lui rendre quelque espérance. Lavarède s’évaderait peut-être pendant la route. Dans une prison, au milieu de nombreux gardiens, la fuite est plus difficile que sur les chemins, où mille incidents surgissent dont un homme déterminé sait profiter. On irait à Péking, puisqu’elle le désirait.

Aurett parut oublier sa douleur pour s’occuper des préparatifs du départ. Avec son père, elle se mit en quête d’un véhicule quelconque, mais la ville en comptait peu, et tous ceux qu’elle possédait avaient été retenus par les fonctionnaires ou les riches marchands. Ces gens se rendaient à Péking pour assister à des fêtes sans précédent. Un ballon dirigeable — ils disaient un navire aérien — devait faire son ascension. L’annonce de cette merveille avait secoué l’apathie des habitants, et dans tout le Ken de Petchi-Li, il ne restait voiture ou jonque à louer.

Cependant, à force de chercher, l’Anglais découvrit un coolie coréen qui, moyennant le prix exorbitant d’un taël par jour, consentît à conduire les voyageurs dans sa brouette à voile. Le taël est une pièce d’or, à valeur variable. Quant à la brouette à voile, elle se compose d’une sorte de table carrée, percée au milieu pour laisser passer l’unique roue qui la porte. À l’avant, quand le vent est favorable, un mât permet de hisser une voile. À l’arrière, deux bras entre lesquels trotte le conducteur du bizarre équipage servent de gouvernail. Pas très stables, ces véhicules exposent les touristes à des culbutes fréquentes, mais il fallait se contenter de ce que l’on trouvait.

Murlyton et Aurett s’entendirent avec le Coréen. Il viendrait les prendre à l’hôtel le lendemain, 16 octobre, à huit heures du matin. Le gentleman lui remit quelques sapèques — monnaie de billon — à titre d’avance, et rentra avec Aurett, pour la dernière fois, à l’établissement monté par la Box-Pacific.