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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Vers dix heures, on s’arrêta dans un petit village, où les hommes de l’escorte prirent leur repas. Très fatigué, meurtri par le contact du bois de la cangue, Lavarède s’était assis en tailleur, de façon que la portion inférieure du hideux instrument portait sur le sol, ce qui soulageait momentanément son cou endolori.

Il était seul. Un des policiers s’approcha de lui, tenant sous son bras des planches, que le journaliste jugea devoir former un autre carcan. Le nouveau venu mit un doigt sur ses lèvres pour recommander le silence au prisonnier, et, avec une habileté merveilleuse, il le débarrassa de la cangue, qu’il remplaça par celle dont il était chargé.

À sa grande surprise, Armand s’aperçut que la seconde était beaucoup plus légère. En outre, le tranchant du bois s’appuyant sur le cou était garni d’un bourrelet de crin qui amortissait la douleur du contact.

Son opération terminée, l’agent entr’ouvrit sa tunique et mit sa poitrine à nu. Du geste il désigna une fleur de lotus tatouée sur la peau et s’éloignait précipitamment. Le Parisien eut un sourire. Encore un qui le prenait pour un franc-maçon, et le soulageait dans la mesure de ses moyens.

Après la sieste, on se remit en marche. Le soir, à neuf heures, le détachement entra dans la ville de Tien-Tcheng, mollement couchée au bord du Peï-Ho. Après quelques détours dans les ruelles, il traversa le pont de marbre, orné de douze figures géantes de Bouddha, qui réunit les deux quartiers de la ville, et il gagna une maison de police située sur la rive gauche. Lavarède fut enfermé dans une cellule assez spacieuse où on le dépouilla de la cangue. Cette parure du supplice était réservée pour la promenade en public.

Le jeune homme s’étira. Malgré la substitution opérée à la première halte, il souffrait d’un violent torticolis ; ses poignets étaient gonflés et douloureux.

— Encore quatre jours de marche, grommela-t-il, je serai gentil en arrivant.

La porte s’ouvrit à ce moment, et le policier à la fleur de lotus se glissa dans la cellule. Il tenait à la main une boîte remplie d’une pommade rougeâtre.

— Zoueg-Maô, dit-il à voix basse.

Et comme le prisonnier le regardait sans comprendre, il répéta un peu plus haut :

— Zoueg-Maô !

Un souvenir traversa l’esprit du journaliste. Il se rappela un épisode