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LE LOTUS BLANC.

du récit de Marco-Polo vivant à la cour de Koubilaï-Khan, où le célèbre voyageur raconte que les condamnés, dans les bagnes, obtiennent quelques jours de repos en se frottant l’épiderme de Zoueg-Maô.

« Cette préparation, dit Marco-Polo, rend les chairs violacées, les couvre de pustules et leur donne l’apparence de l’inflammation la plus aiguë. Apparence seulement, car celui qui fait usage du Zoueg-Maô n’éprouve aucune gêne. »

Le policier montra la boîte, puis les pieds de Lavarède. Celui-ci comprit : Le « truc », vieux de tant de siècles, servait encore. Dans ce monde chinois, stagnant au milieu des peuples courant au progrès, tout est éternel, les trucs comme les usages, les idées comme les erreurs. Il fit une action de grâces à la routine. Lui le Parisien avide de « demain », pour qui la vapeur était trop lente, il admira le char immobilisé par l’ornière.

Pour prouver à son protecteur qu’il avait saisi sa pensée, il se déchaussa et enduisit sa chair de pommade. L’agent parut satisfait et se retira.

Au matin, lorsqu’on vint le chercher pour continuer sa route, Armand montra aux Toas pieds gonflés, marbrés de plaques rouges. Ceux-ci hochèrent la tête et allèrent prendre les ordres de leur chef. Une demi-heure plus tard, Armand était emporté sur une civière et conduit ainsi à bord d’une jonque, au fond de laquelle il fut commodément installé. Après quoi, les bateliers déployèrent les voiles de paille tressée et, poussée par un bon vent, l’embarcation remonta le cours du Peï-Ho. C’est ainsi que le prisonnier effectua son voyage, qui eût été charmant sans l’inquiétude de la fin.

Cependant avec sa mobilité d’esprit habituelle, Armand s’intéressa au paysage. Il admira les nombreux canaux naturels qui réunissent le lac Ami-Io au fleuve. Il eut un véritable plaisir à voir défiler les monuments, les palais, les pagodes de Tien-Tsing, ville d’un million d’habitants, capitale de la province de Petchi-Li. Il se remémora que Péking, cité administrative et résidence de l’empereur, est seulement chef-lieu d’un département de cette province, le département de Choun-Tien. Il regretta fort que les troupes anglo-françaises ne fussent plus en cet endroit où, en 1860, la guerre contre la Chine fut close par un traité qui ouvrait les villes du littoral aux Européens.

— Ah ! comme on m’aurait tiré des mains de ces drôles, murmura-t-il, puis sa robuste confiance en lui reprenant le dessus : J’en sortirai bien tout de même, conclut le vaillant jeune homme.