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LES HAUTS PLATEAUX DU THIBET.

çait d’un pas rapide, sans une hésitation. De même qu’un paléographe sait traduire un manuscrit ancien, le Tekké savait déchiffrer le sol.

— Ici, disait-il, les bandits se sont arrêtés… la demoiselle a mis pied à terre.

L’Anglais se penchait avec émotion sur une éraflure de la glace à peine visible, que le guide indiquait comme la trace du pied de son enfant.

Plus loin Rachmed déclarait qu’un cheval était tombé. Plus loin encore, les ennemis inconnus avaient pris leur repas.

— Prenons aussi le nôtre, ajouta l’Asiatique ; par cette température, il faut ménager ses forces et les entretenir.

— Non, marchons, marchons ! chaque minute perdue est une torture pour ma fille, marchons !

Les regards brillants de fièvre, Murlyton étendait le bras vers l’ouest comme pour atteindre les guerriers qui entraînaient Aurett. Mais décidément, le guide avait pris le commandement de l’expédition, car, aux supplications du gentleman, il répondit seulement :

— Il faut s’arrêter et manger ; sinon, dans une heure, l’essoufflement nous étreindra la poitrine et nous ne pourrons continuer notre marche.

Il s’installait tout en parlant. Force fut à ses compagnons de l’imiter. Au fond, du reste, ils comprenaient la justesse de l’observation de Rachmed. Déjà ils avaient éprouvé les premiers symptômes de la fatigue, — la difficulté de respirer, la faiblesse des jambes, — produits par la raréfaction de l’air. Ils avaient conscience qu’ils devaient faire des pauses fréquentes sous peine d’être contraints à renoncer à leur entreprise.

Le repas, composé de lanières de viande de yak séchées et de galettes de maïs, les remit. Ils s’étonnèrent de manger avec avidité, oubliant que le froid accélère la combustion humaine comme celle d’un foyer et crée le besoin d’une nourriture abondante.

Au signal du Tekké la poursuite recommença. Jusqu’à la nuit on marcha et les voyageurs s’arrêtèrent épuisés auprès d’une source chaude, comme il en existe un certain nombre dans le pays.

D’une sorte de cuvette creusée dans le rocher s’échappait une eau bouillonnante, dont le cours était marqué par une ligne de fumée flottante. L’air en était échauffé et, dans un périmètre restreint, des herbes pâles et maigres couvraient le sol. Près du courant, dans la terre délayée, Rachmed montra à ses amis les traces des chevaux et des guerriers. À un endroit même il découvrit l’empreinte des brodequins de la jeune Anglaise. Murlyton ne dit pas une parole, mais il serra la main du guide.