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LES AMAZONES KIRGHIZES.

lant avec volubilité. Essoufflé, se maintenant à grand’peine à dix pas en arrière, le père d’Aurett ne parvint pas à saisir un mot.

Dans les rues, mesdames les Kirghizes se pavanaient majestueusement, escortées de leurs époux, qui, ce jour-la, étaient chargés de tous les objets encombrants, depuis les larges miroirs chinois jusqu’aux petits enfants trop jeunes pour marcher. Ces promeneurs lançaient des regards curieux aux étrangers, puis reprenaient leur conversation commencée.

Enfin Lavarède et ses compagnons débouchèrent sur la place Ameïraïkhan. Un spectacle étrange les y attendait.

Assises sur des blocs de pierre disposés suivant une circonférence, des femmes, engoncées dans leurs fourrures, écoutaient une de leurs compagnes. Celle-ci, juchée sur un siège plus élevé, parlait d’une voix gutturale dure à l’oreille. Les autres opinaient gravement de la tête, en fumant à petits coups des pipes au longs tuyaux couverts d’ornements de métal.

Sans souci d’interrompre l’orateur, Lavarède pénétra dans le cercle. Une clameur de stupéfaction s’éleva aussitôt. Debout, menaçantes, les Kirghizes semblaient prêtes à s’élancer sur l’intrus. De mémoire d’amazoun, jamais un homme n’avait osé troubler le « Patich » — reproduction du conseil des cheffesses dans la tribu-mère.

By god ! qu’avez-vous fait là !… s’écria l’Anglais en rejoignant le Parisien.

Celui-ci, aussi calme qu’un conférencier à la salle des Capucines, se tourna vers Rachmed et doucement :

— Va ! dit-il.

Aussitôt l’interprète commença de haranguer l’assistance dans une langue inconnue du gentleman. Il répétait la leçon que venait de lui apprendre Lavarède.

— Mesdames, clama-t-il, si nous avons troublé la délibération de vos puissantes seigneuries, c’est pour vous signaler un crime de lèse-coutumes commis par un homme de cette ville.

Murlyton ne comprit pas le sens des paroles, mais il constata que l’assemblée devenait attentive.

— En ce jour, continua le Tekké, toute femme est libre. Aucune ne peut être retenue contre sa volonté.

— Voï ! voï ! répondirent des voix nombreuses.

— Elles disent oui, glissa rapidement le guide à Armand.

Puis, reprenant le dialecte des plateaux :

— Pourtant une jeune fille est prisonnière à Beharsand. Voici son père