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DU TARIM À L’AMOU-DARIA.

voyageurs portèrent instinctivement la main à leurs coiffures, pour rendre hommage à un brave.

— Belle mort, murmura seulement Murlyton, mais complètement inutile. Cet Asiate n’était pas un homme pratique.

Sur cette oraison, funèbre bien anglaise, la petite troupe continua son ascension.

À la nuit, elle atteignit le sommet de la montagne et Lavarède montra avec satisfaction à ses amis la formule sacrée des bouddhistes, gravée sur un bloc de granit :

« Om mané Padmé houm. »

— Ceci, dit-il, vaut un poteau indicateur. J’y lis que nous sommes dans le massif des monts Célestes, où ces paroles, que des millions de fidèles répètent chaque jour, se trouvent fouillées dans le roc un nombre incalculable de fois. Il existe une confrérie de lamas qui n’a d’autre fonction que d’en couvrir les sommets.

Non loin de là d’ailleurs, les voyageurs découvrirent un « obos », ou amas de pierres commémoratif, que les gens du pays, de même que les anciens Gaulois et les Arabes, élèvent aux endroits qu’il est important de reconnaître.

Tout le monde dîna gaiement. Le lendemain, on descendrait le versant opposé des hauteurs et on atteindrait sans doute un pays moins désolé.

Cet espoir devait être déçu. Durant plusieurs semaines, ils errèrent sur un haut plateau, n’ayant pour boisson que la glace fondue, pour combustible que l’argol, c’est-à-dire la fiente des yaks.

Péniblement, ils parcouraient quelques kilomètres ; puis ils devaient s’arrêter, terrassés par le mal des montagnes. Les jambes lassés, douloureuses, la respiration gênée, ils se glissaient, le soir venu, sous leurs tentes et s’endormaient d’un lourd sommeil, d’où ils sortaient plus fatigués encore. Et toujours s’étendait devant eux le même paysage de rochers en blocs, en anguilles, séparés par des flaques gelées ; paysage si constamment semblable à lui-même qu’il était presque impossible de marcher dans une direction donnée.

Tous supportaient courageusement ces épreuves que l’expérience de Rachmed adoucissait un peu. Mais Aurett, plus faible que ses compagnons, dépérissait à vue d’œil. Ses joues se creusaient. Ses pieds meurtris ne la portaient qu’au prix de souffrances aiguës. Il était facile de prévoir qu’avant peu elle ne pourrait continuer le voyage.

Quand un rayon de soleil attiédissait l’atmosphère, la jeune fille était