Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
326
LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

hissée sur l’un des yaks, mais ces éclaircies étaient rares. À tout autre moment, par le froid rigoureux qui sévissait, cette immobilité relative lui eût été fatale.

Armand se multipliait, éclairant la route, encourageant ses amis, trouvant de douces paroles pour réconforter l’Anglaise. Elle le remerciait d’un sourire, mais le découragement la minait sourdement. Et lui se désolait.

La solitude permanente oppressait la jeune fille. Elle avait peur de ne pas sortir de ce pays affreux. Et comme si la situation des voyageurs n’était pas assez critique, un malheur plus grand que tous les autres s’abattit sur eux.

Un soir, dans une étroite vallée abritée du vent glacial de l’ouest, ils dressaient les tentes. Les yaks encore chargés étaient à quelques pas. Tout à coup, avec des beuglements éperdus, les animaux pris d’une peur soudaine s’enfuirent au galop, gravirent la pente du ravin et disparurent. Dans leur panique, ils emportaient les provisions de bouche et les munitions de leurs maîtres.

Sir Murlyton voulait s’élancer à leur poursuite. Rachmed s’y opposa :

— Vous vous égareriez, dit-il, et l’homme perdu dans les ténèbres est un homme mort. Il doit marcher sans cesse. S’il s’arrête, l’engourdissement le cloue sur place, ses paupières se ferment malgré lui et il s’endort pour ne plus se réveiller.

— Mais alors, que ferons-nous ?

— Nous ne dînerons pas. Demain, nous nous mettrons à la recherche de nos bêtes.

Encore que les estomacs criassent famine, il fallut se rendre au raisonnement du Tekké. Tous comprenaient le danger des recherches nocturnes, par 30 degrés de froid. Ils se couchèrent de méchante humeur.

Au matin, on se mit en chasse. Mais vainement on battit le pays, nulle part on ne retrouva trace des yaks. Sous l’influence de la terreur, ces animaux parcourent parfois des distances énormes. Ils devaient être bien loin à cette heure.

La tête basse, les voyageurs revinrent à leur campement. De l’argol, recueilli en route, leur permit, d’allumer un feu autour duquel, mélancoliques, ils se groupèrent. Ils en avaient besoin. Privés de nourriture depuis vingt-quatre heures, ils souffraient doublement des rigueurs de la température.

Ils restaient devant la flamme, immobiles, l’œil vague, enfoncés en des réflexions pénibles. Toute pâle, prise de fièvre, Aurett semblait oublier la