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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

« Front — haut.

« Nez — droit.

« Bouche — moyenne.

« Menton — rond.

« A habité longtemps Paris et Rome. Parle correctement le français et l’italien. Profitera sans doute de cet avantage pour dissimuler sa nationalité. A été signalé à Odessa en dernier lieu. »

Le Parisien s’était arrêté, un vague sourire sur les lèvres. Il replaça le papier sur la table.

— À Odessa, sur la mer Noire, fit-il entre haut et bas. Ce Rosenstein est capable de suivre la voie du Caucase et de vous tomber sur les bras un de ces jours.

— Nous le recevrons comme il le mérite, répliqua Karine ; allons déjeuner.

Et tandis que Murlyton s’éloignait avec miss Aurett, le chef de gare conduisit son hôte à son appartement. Le caviar national fut fêté. Les toasts amicaux s’échangèrent, puis le lieutenant dut reprendre son service. Il recommanda au journaliste d’être exact pour le dîner et le laissa libre de visiter la ville.

Visite peu longue. Pas de monuments, des habitations très simples. Les seules curiosités sont le pont de bois d’Annenkov et le petit bourg d’Amou-Daria, fondé par les Russes à quelques kilomètres de Tchardjoui. Le bazar de cet embryon de cité compte déjà vingt-quatre boutiques où l’on peut se procurer les objets manufacturés d’Europe.

Au soir, Lavarède fut présenté à son compagnon de voyage, le capitaine Constantin Karine. Celui-ci servait au régiment de dragons de Nijni-Novgorod, en garnison à Tiflis, dont le lieutenant-colonel était un prince français, Louis-Napoléon Bonaparte, aujourd’hui colonel à Varsovie. Après le dîner, Lavarède et le capitaine étaient les meilleurs amis du monde.

Le chef de gare mit une chambre à la disposition du Français et celui-ci, pour la première fois, s’étendit sur un lit, primitif il est vrai, mais très supérieur aux roches des hauts plateaux.

Dès six heures et demie du matin, Armand était sur le quai. Un vent violent soufflait du nord et le Français se recroquevillait dans la chaude pelisse de vigogne qu’il devait à la libéralité des Thibétains.

— J’achèverai mon voyage, disait-il aux Russes, mais ça m’ennuie de rentrer à Paris dans cet uniforme de bouddha. On m’accusera de m’être ménagé une entrée à sensation.