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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/345

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

son costume gris, dans sa houppelande ouatée ne rappelait en rien le dieu détrôné de Lhaça.

Une dernière poignée de main à l’ami russe et le Français sauta dans le compartiment où ses amis avaient déjà pris place. Le train se mettait en marche.

Merv, au milieu de son oasis arrosée par la Mourgah, la rivière de Tedjenk, Douchak, passèrent sous les yeux des voyageurs.

Puis le paysage devint sévère. Partout, des deux côtés de la voie, le sable fauve du désert. Parfois des ruines imposantes s’étendant sur plusieurs kilomètres — traces du passage des anciens conquérants mongols : Tamerlan, Timour, Nadir.

— On comprend en voyant cela, dit le capitaine Constantin, que ces hommes aient pris le titre de « fléaux du ciel ». Après eux il ne restait rien. Ici s’élevaient des villes de trois cent mille habitants, au milieu d’un pays fertile. Ils sont venus, ont emmené en captivité les habitants, éventré les digues qui contenaient les eaux. Et maintenant, c’est le désert. Dans les ruines, les carnassiers se reposent de leurs chasses. Les Mongols ont tué la vie.

À quelques verstes d’Askabad, le train dut stopper. Une tempête avait ensablé la voie. Des hommes du 2e bataillon des chemins de fer, aidés de Turkmènes, étaient occupés au déblaiement.

— Autrefois, expliqua le Russe, le service était fait par le 1er bataillon ; mais Annenkov, aussitôt le Transcaspien terminé, l’a emmené avec lui en Sibérie. Il travaille à la grande ligne qui réunira l’Oural au Kamtchatka.

La circulation devait être interrompue pendant plus de deux heures. Constantin Karine proposa à Lavarède de descendre.

Deux officiers qui surveillaient les travaux furent enchantés d’apprendre qu’un Français se trouvait là. Le capitaine avait dans sa valise d’excellent cognac, et l’occasion de toaster à la France, à la Russie était trop belle. On toasta.

Un des officiers donna rapidement un ordre à un de ses cosaques qui sortit joyeux, en dansant un pas national ressemblant à une bourrée auvergnate, moins alourdie.

— Qu’est-ce ? demanda Lavarède.

— Une surprise, cher monsieur ; vous savez certainement que les exercices d’équitation sont en grand honneur chez nous, chez nos Kozaks en particulier ; on vous prépare une djighiloffka pour vous montrer à la fois sympathie et respect.