Aller au contenu

Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
371
PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

— Je vous trouve admirable. Vous ne saisissez pas pourquoi on appréhende le banquier ? C’est pourtant clair comme de l’eau de roche. Il a spéculé sur un dépôt.

— Spéculé, où prenez-vous cela ?

Schultze était devenu très attentif, du moins en apparence.

— Parbleu ! continua le propriétaire enflant ses joues. Tout emprunt de ville donne lieu à des tirages, valeurs à lots, vous me suivez ?… Pour Vienne il y en a deux par an. Quelques jours avant le tirage, la chance de gagner poussant le public, les obligations montent. Après elles descendent. D’où un écart de quatre à cinq francs parfois. Voilà pourquoi les titres ne portaient plus les numéros notés par le client. Son banquier avait vendu avant le tirage et racheté après, empochant le produit de l’opération, et empêchant le déposant de courir la chance du tirage.

Il riait tout en parlant, écrasant son interlocuteur, l’ignorant artiste, de son dédain d’homme pratique. Mais sa joie fut de courte durée. Schultze salua profondément le Parisien, et d’un air embarrassé :

— Monsieur Lavarède…, commença-t-il.

— Quoi, interrompit ce dernier, vous ne m’appeler plus Rosenstein ?

— Au cimetière de Sébastopol j’ai reconnu que vous êtes Français ; à l’instant j’acquiers la certitude que vous n’êtes point financier. Je crois, ainsi que vous l’avez affirmé, que vous êtes bien monsieur Lavarède, journaliste parisien, et je vous prie de ne pas faire perdre sa place à un pauvre homme qui a cru faire son devoir en vous arrêtant.

— Mon cher monsieur Schultze, je ne vous en veux pas, au contraire, et même je me plais à ce point en votre compagnie que je continuerai le voyage jusqu’à Trieste.

— Non, oh ! non, je ne veux pas vous infliger plus longtemps l’ennui de ma présence.

Et sur une protestation d’Armand :

— Je vous en prie, fit le policier ; à Szegedin, ville importante et d’où les communications sont faciles, nous réglerons nos comptes… je vous en prie.

— Soit, répondit Armand avec un soupir de regret.

Et les deux homme se serrèrent la main.

— Maintenant, s’écria alors Bouvreuil, à nous deux, monsieur le policier ; je vous assure que, moi, je ne serai pas d’aussi bonne composition.

L’Autrichien le toisa :

— Mais vous, je ne vous lâche pas.