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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/393

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

s’étaient élancés aux postes indiqués. Bouvreuil esquissa un mouvement vers le tableau de direction, mais Murlyton l’arrêta par ces mots :

— Non, vous ne sauriez pas. Inutile de nous faire périr.

Et il appuya ce conseil d’une solide bourrade.

Le bateau se mit en marche, glissant lentement à deux mètres du fond. Il obliqua à droite pour prolonger le Molo Santa Teresa, contourna la plate-forme de la Lanterne et piqua droit vers le Sud, dans l’Adriatique. Par les panneaux, les passagers voyaient filer les bandes vertes de l’eau, légèrement ridées par le frottement du Goubet, à qui désormais nous laisserons cette appellation française. Au-dessous du torpilleur la terre n’était plus visible.

— À quelle profondeur sommes-nous ? demanda miss Aurett.

Armand consulta le manomètre.

— À vingt-deux brasses.

— Et la brasse vaut ?

— Un mètre soixante… Ici les agitations de la surface ne se transmettent plus… Vous devez remarquer qu’aucun de nous ne souffre du mal de mer… Maintenant, comme le « creux moyen » de l’Adriatique est de deux cents mètres, je puis donner sans danger au bateau sa vitesse maxima.

— Qui est de ?…

— Ma foi, nous allons le savoir.

Un tour de manette, et le froufrou de l’eau s’accentua, devint strident. Le jeune homme avait les yeux fixés sur un cadran où une aiguille circulait rapidement. La pointe se fixa enfin.

— Cinquante milles à l’heure, dit le jeune homme ! c’est phénoménal et c’est effrayant.

Tous s’entre-regardèrent. Une même pensée traversa tous les cerveaux :

« À cette allure, un choc eût été un écrasement. »

Qu’un rocher se trouvât sur la route et le sous-marin sous la formidable poussée de son hélice éclaterait ainsi qu’une noix vide.

Une grande carte de la Méditerranée, indiquant les fonds, de Gibraltar à Candie, était accrochée au mur au-dessus du clavier directeur. À l’aide du compas, le Parisien relevait la route.

Le soir à neuf heures, après un dîner emprunté aux provisions du bord, on se trouvait en face d’Ancône. Chacun s’installa pour passer la nuit sur les divans qui faisaient le tour du salon. Don José, par précaution, n’avait pas été déficelé.