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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/394

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LE « GOUBET ».

Seul Armand resta debout à son poste. Veillant pour tous, il releva successivement Civita-Nova, Benedetta, Cuilianova, Pescara, Vasto.

Comme la nuit il ne craignait pas d’être aperçu, il fit remonter le bateau et ouvrir la coupole pour renouveler l’air respirable sans avoir recours aux machines. Vers minuit il rasa l’île Tremiti.

Piesti, à l’extrémité du cap du même nom, Manfredonia au fond d’une baie pittoresque où une algue spéciale donne aux eaux une teinte safran, Barletta, Trani, Bari, Brindisi, port d’attache des vapeurs de la malle de l’Inde et de l’Australie, furent dépassés par le sous-marin dans sa course folle.

Quand Aurett ouvrit les yeux, vers six heures du matin, le Goubet sortait du canal d’Otrante et se trouvait en vue de la cité, mollement couchée à l’extrémité du talon de la botte italienne. Laissant à gauche l’archipel Ionien, à droite le golfe de Tarente, le torpilleur se dirigea vers la Sicile.

De temps à autre, Lavarède faisait plonger l’appareil. On descendait dans les vallées sous-marines tapissées d’algues, de fucus, de coraux, de spongiaires. Dans le cercle lumineux du fanal, les voyageurs collés à la vitre contemplaient un spectacle étrange, dont aucun paysage terrestre ne saurait donner l’idée.

Par suite de la densité du milieu, les goémons, les longues herbes de la mer montaient vers la surface en une verticale rigide. Et dans les anfractuosités de rochers, entre les végétations corallifères, des monstres insoupçonnés grouillaient : des poulpes, des araignées de mer aux yeux glauques, des homards gigantesques, surpris par l’irradiation électrique, accouraient du fond de l’ombre, se pressant, se bousculant vers le foyer lumineux. Tels les papillons autour de la flamme de la bougie. Mais ici, au lieu d’insectes gracieux, une légion d’êtres horribles qui semblaient vomis par un cauchemar.

Bouvreuil était éperdu. Peut-être tout cela lui rappelait-il ses mauvais rêves d’homme d’affaires véreux. Et puis il avait appris que, parmi les colis embarqués, se trouvait un baril de poudre. Si bien que, nouvel âne de Buridan, il ne savait si sa peur du mélange détonnant était plus grande que sa crainte des crustacés.

Une vision plus effrayante attendait les passagers. Dans une de ces descentes aux fonds, ils se trouvèrent en présence d’une coque de navire donnant la bande à tribord.

C’était un grand vaisseau. Les mâts coupés à un mètre du pont, le