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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

bordage déchiré sur une longueur de trois brasses, disaient la catastrophe. Ce bateau avait coulé à pic après avoir heurté un récif.


C’était un spectacle étrange.

Le Goubet suspendit sa marche et se rapprocha de l’épave. Un cri se fit entendre.

— Là, là, sur le pont, regardez, disait miss Aurett, en mettant la main sur ses yeux.

Parmi les lianes marines nées de la pourriture du bois, parmi les concrétions pierreuses des polypes, on reconnaissait des squelettes humains. L’un même à demi sorti de l’écoutille d’arrière, entièrement dépouillé de chair, lavé par les eaux salines, avait conservé l’attitude de l’agonie. Dans cette zone où n’arrivait aucune agitation de la surface, le squelette restait les bras en l’air, la tête renversée en arrière, semblant continuer un suprême appel, un dernier effort pour fuir l’asphyxie.

Lentement le torpilleur fit le tour de l’épave. Sur le tableau d’arrière à demi rongé, les voyageurs purent lire : la Sémillante. Et dans le silence la voix de Lavarède s’éleva grave, émue :

— La Sémillante transportait des troupes de l’armée de Crimée. Elle toucha un récif non porté sur les cartes et sombra, entraînant trois cent cinquante hommes d’équipage et neuf cent soixante-quinze soldats. Saluons, mes amis, c’étaient des Français !…

Le Goubet s’éloignait à toute vitesse comme s’il avait compris le désir de ceux qui le montaient.