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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

rède, les autorités interviendraient mollement, peu soucieuses de soulever un incident franco-italien que la disparition du torpilleur rendait sans intérêt.

Puis, le journaliste n’était pas homme à se laisser condamner sans protestations. Et alors… le passé de José lui interdisant la fréquentation assidue des hommes de loi, le Colombien se décida pour… la clémence, triomphant euphémisme qui arracha un sourire à Bouvreuil lui-même.

Tous deux confirmèrent donc le récit imaginé par Armand en présence de l’officier de port, et que ce dernier consigna en ces termes sur son registre des arrivées :

« Sept passagers étrangers — les noms suivaient — montant l’Espérance, bateau électrique, perdu en vue de Messine, par suite d’une explosion. Cause de l’accident : Inconnue. »

Cela fait, l’usurier et le rastaquouère tirèrent de leur côté et se rendirent chez le signor Giovanni Eserrato, de la maison Eserrato, Lifanti et Cie.

Bouvreuil avait depuis longtemps de l’argent dans cette maison. Il voulait profiter de son passage en Sicile pour se renseigner sur une mention, qui l’avait frappé dans le rapport imprimé après la dernière assemblée générale. Plusieurs pertes subies par la banque étaient justifiées au moyen de ce seul mot :

Maffia.

Voilà ce qui motivait le discours du signor Giovanni dans le bureau duquel se passait la scène.

Le pétulant banquier, la porte refermée, se rapprocha des visiteurs et baissant la voix :

— La Maffia, reprit-il, ce n’est pas une association, c’est un peuple, c’est la Sicile tout entière et rien que la Sicile. Tous en ce pays nous sommes, non affiliés, mais complices de la Maffia.

— Comment tous ? s’exclama le propriétaire. Pas vous, j’imagine ?

Eserrato appuya sa main sur le bras de l’actionnaire et avec une nuance de crainte :

— Ne parlez pas ainsi… je suis Maffioso et je m’en flatte.

— Vous ?

— Moi… Jamais je n’aiderai les poursuites de la police ou des bersaglieri contre les Braves de la Montagne.

Et tout bas :

— Je tiens à me garder des deux S.