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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/420

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FRANCE.

Là, un matelot, ayant été grièvement blessé dans une rixe, Lavarède le remplaça sur un caboteur, chargé d’oranges et de grenades. Débarqué à Toulon, le voyageur eut la bonne fortune de rencontrer le yacht d’un ami parisien, fils d’un chocolatier connu dans les cinq parties du monde.

Très intéressé par le récit de ses aventures, celui-ci offrit à Armand de le conduire à Marseille sur son yacht de plaisance, qui flânait dans la Méditerranée, sans but. Autant aller à Marseille qu’ailleurs.

Bref, le 16 mars, à huit heures du matin, le journaliste mit le pied sur le quai de la Joliette. Son premier cri fut un cri de joie

— Terre natale, terre de France, je te revois enfin et je te salue ! Ah ! c’est bon de respirer l’air du pays (et comme il aspirait à pleins poumons). Sapristi ! fit-il gaiement, il n’est pas aussi pur qu’à Nice et sent terriblement l’ail et le savon… mais enfin, ici ou là, c’est tout de même la patrie.

Il rangea ce qu’il appelait ses papiers, c’est-à-dire les attestations de ses patrons de hasard, depuis celui de la tartane jusqu’à l’obligeant yachtman :

— Comme ça, je ne passerai pas pour un vagabond, le plus grand danger que je courre maintenant… Je ne me vois pas pincé par la gendarmerie, qui, avec la placide lenteur de notre administration, attendrait pendant trois mois la preuve de mon identité… Avec ces paperasses, je suis tranquille.

Mais bientôt sa satisfaction fit place à des réflexions pénibles.

— Je suis à 865 kilomètres de Paris. Inutile de songer à les faire à pied. Le temps me manque. Donc il me faut trouver un véhicule. Mais lequel ? Ah lequel ?… Voilà la question. Ici, il ne s’agit plus d’employer les moyens héroïques… je suis en pleine prose à présent. Il faut trouver « des trucs », comme on dit au boulevard.

Parbleu, le chemin de fer lui plaisait. S’il avait connu un chef de gare, il aurait pu rentrer à Paris comme il en était parti. La moindre caisse eût fait son affaire. Seulement, il ne connaissait personne à Marseille.

Tout en songeant, Lavarède remontait la Canebière. La large voie, bordée de magasins, de cafés et d’agences commerciales ou maritimes, était encombrée de voitures. Les balles de café, de coton, se croisaient avec les emballages des savonneries.

Les chariots roulaient, lourdement, les conducteurs s’invectivaient, les chevaux hennissaient. Sur les trottoirs des hommes chargés de fardeaux se croisaient en tous sens, avertissant les promeneurs d’avoir à se garer par des cris aigus, des exclamations sonores. Les , les mon bon, les péchaire heurtaient les troun de Diou et les patafloc dans un vacarme assourdissant !

Calmes au milieu du tohu-bohu, les petits décrotteurs circulaient en