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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/421

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

casaque uniforme, sautaient aux pieds du passant arrêté et d’une brosse légère enlevaient la poussière blanche ternissant le vernis de la chaussure.

Évitant les chocs, Lavarède arriva sur le cours Belzunce. Le promeneur remarqua deux hommes qui sortaient d’un café au coin de la rue Pavé-d’Amour. Ils parlaient haut, en vrais Marseillais qu’ils étaient de la tête aux pieds.

— Eh ! disait l’un, viens donc déjeuner, Bodran.

L’autre résistait :

— Non, je dois me rendre…

— Au dépôt des mécaniciens et chauffeurs, la belle affaire ! Les roulements, ils sont établis sans toi… tout chef du dépôt que tu es. Ils s’exécuteront bien sans toi…

— Seulement si mon absence était constatée, je serais à l’amende. Non, tu emmèneras le petit, voilà tout. Accompagne-moi un peu, il doit être à jouer par là !

Lavarède avait dressé l’oreille. Cette fois il la tenait son idée. Ex-mécanicien d’un steamer, il saurait bien « chauffer » une locomotive. Et il avait le chef de dépôt sous la main ! Comment l’intéresser à son sort ?

Il suivit les deux hommes qui montaient vers les allées de Meilhan, se rendant ensuite à la gare Saint-Charles. Ils s’arrêtèrent et l’employé de chemin de fer montra à son compagnon un groupe de gamins sur le trottoir opposé.

— Tiens, voilà Vittor. Tu le prendras avec toi. Eh ! Vittor, ici !

À cet appel, lancé d’une voix de stentor, l’un des joueurs leva la tête.

— Té, s’écria-t-il, c’est le père !

Et il bondit sur la chaussée pour rejoindre l’auteur de ses jours. Dans sa précipitation, l’enfant n’avait pas aperçu un camion qui arrivait à fond de train.

Le chariot lancé allait écraser le petit. Les promeneurs virent le danger. Ils poussèrent un cri d’épouvante et… brusquement ils se turent stupéfaits. Lavarède n’avait pas crié, mais s’était élancé ; d’un revers de main, il avait culbuté le petit en dehors de la ligne suivie par les chevaux, et la voiture passée, il l’enlevait dans ses bras et le rapportait tout étourdi encore à son père.

Celui-ci était littéralement fou. Il embrassa le gamin, serra la main du sauveteur, fit de grandes démonstrations, gesticula, pleura, commença des phrases qu’il ne finissait pas. Enfin, il remit un peu d’ordre dans ses idées et Armand put percevoir ces mots :