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FRANCE!

spécial de la gare, et le fonctionnaire, accompagné de deux porteurs et d’une civière, avait enlevé Poirier pour le transférer à l’hôpital, ainsi que le prescrivait l’arrêté du maire.

Maintenant l’autre postier Tolinon se lamentait. Il restait seul pour assurer le service entre Tarascon et Lyon. Jusque-là pas d’auxiliaire !… Bien certainement, il commettrait des erreurs qui nuiraient à son avancement. Car si l’administration se dérobe à toute responsabilité vis-à-vis du public par la rubrique connue : Cas de force majeure ! elle ne permet pas à ses agents d’user de la même excuse.

— Bon, fit une voix auprès de lui. Pendant la guerre turco-russe, j’ai fait le service dans les Balkans. Si vous voulez, je vous seconderai.

Tolinon se détourna. Lavarède le regardait souriant. Il disait vrai… presque. Correspondant de son journal, les circonstances l’avaient amené, en Turquie, à convoyer un courrier pour être sûr que son envoi partirait, ce qui n’arrivait pas toujours, en ce temps-là, dans l’empire ottoman.

Dans la position de l’ambulant, un homme un peu au courant était le salut. Après quelques répliques rapides, il serra les mains du Parisien :

— Venez donc, car l’heure du départ est proche.

— À l’instant.

Courir à Mme Félicité, lui adresser un adieu ému, lui arracher un certificat de bonne peinture fut l’affaire d’une minute. Bientôt, triomphant, le voyageur montait à la suite de Tolinon dans le wagon des postes, et le train démarrait l’emportant vers Lyon, — au lieu et place du sieur Poirier que les infirmiers de l’hôpital de Tarascon soignaient avec un dévouement dont le patient pensa devenir fou.

Montélimar, Valence, Vienne, Givors, défilèrent sous les yeux du journaliste, chargé par Tolinon du lancement des sacs de dépêches, au passage des gares franchies sans arrêt.

Et il les lança ces sacs, avec un entrain tel que, durant une semaine, le service de la poste subit dans les départements de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère et du Rhône une perturbation dont les habitants conserveront longtemps le souvenir !…

— Lyon-Perrache !

À ce cri d’un employé, Lavarède dut résigner ses fonctions. Tolinon le présenta au chef de gare qui le félicita chaudement. On ne connaissait pas encore les fantaisies de sa distribution. Les sous-chefs, inspecteurs, commissaires de surveillance tinrent à honneur de lui serrer la main.

Toute cette gloire ne l’empêchait pas de se retrouver sur le pavé. Mais