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EN COSTA-RICA.

— Vraiment, fit Armand, frémissant malgré lui à l’idée de ce partage.

— Et puisque, cette fois, vous êtes bien battu, je ne veux pas me refuser la satisfaction de vous dire à l’avance quel sera votre sort.

— Voyons donc l’avenir, mon cher magicien.

— Il est bien simple… vous serez demain condamné, pour vol des mules d’Hyeronimo, à un an de prison… En ce pays-ci, douze mois de villégiature ne sont pas trop pénibles et vous n’aurez pas froid… mais vous aurez ainsi perdu votre gageure et les millions du cousin… Je puis même vous prédire qu’après cette période de recueillement, vous épouserez Pénélope.

— Brrr !… trembla ironiquement Armand.

— Parfaitement, vous aurez le bonheur de devenir mon gendre.

— Mais, monsieur Bouvreuil, c’est là une aggravation de peine non prévue par le code costaricien… et je vous promets, moi, de faire des efforts dignes de Latude et du baron de Trenck pour échapper à la destinée dont vous me menacez.

— Faites tout ce que vous voudrez, vous n’y échapperez point… nous vous tenons encore par d’autres moyens, que je ne vous dirai pas d’avance, ceux-là… Ah ! vous avez peut-être eu tort de passer par ce pays, où don José commande en autocrate, où mon ami José est préfet, gouverneur, dictateur en un mot !…

— Comme il convient à tout fonctionnaire d’un pays libre, ajouta Lavarède.

Il donnait cependant raison à Bouvreuil. Oui, il avait eu une fâcheuse inspiration en venant ainsi se placer de lui-même dans les griffes de ses adversaires. Mais qu’y faire, à présent ?… Se résigner pour ce soir, dormir et attendre à demain pour prendre un parti. C’est ce qu’il fit, lorsqu’on fut arrivé au rancho del Golfito.

Bouvreuil, bon prince, ne l’avait pas condamné à mourir de faim ; sa victoire assurée avait même apprivoisé le vautour, et Lavarède soupa à la même table que miss Aurett, Murlyton, Moralès et « son futur beau-père ». Par une faveur spéciale, les soldats de garde restèrent au dehors, et ce fut le muletier Hyeronimo qui servit plus particulièrement le Français ; il ne lui ménagea pas le vin d’Espagne, très fort, comme on le boit communément dans le Centre-Amérique.

Le ranchero s’était distingué comme cuisinier ; on sentait qu’il s’agissait de hauts personnages et Concha, son épouse, avait mis les petits plats dans les grands. Le menu doit être conservé : c’était le premier de ce genre que