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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Alors, Lavarède appelle. Concha accourt. Il demande l’heure. Il est près de huit heures du matin. Depuis le point du jour, il apprend que tout le monde est parti.

— Votre Grâce, lui dit Concha, est seule à présent dans le rancho.

— Pourtant j’entends des voix, en bas, sous ma fenêtre.

— Oh ! ce sont les soldats qui gardent Votre Grâce.

— Des soldats ?… Quel honneur !… ou quelle précaution !

— Oui, avec Hyeronimo « le brave ».

— Hyeronimo le muletier !

— Lui-même.

Dans l’autre hémisphère, tout comme en notre vieux monde, les femmes sont un tantinet bavardes, — surtout lorsqu’elles causent avec un élégant cavalier, fût-il en costume sommaire. Lavarède put donc à l’aise faire parler la gente Concha.

— Dites-moi, belle ranchera, savez-vous d’où lui vient ce surnom… Hyeronimo « le brave » ?

— Oh ! tout le pays le sait aussi bien que moi.

— Mais moi je ne suis pas du pays.

— C’est à la suite d’une de nos révolutions, il y a plus d’un an… C’est lui, dit-elle fièrement, qui a donné le signal du pronunciamiento !…

— Ah bah !

— Oui… et il y a deux mois, quand on a renvoyé le président général Zelaya pour reprendre le président docteur Guzman, c’est encore lui qui a tiré le premier coup d’escopette.

— Alors son fusil est à répétition…

— Je ne comprends pas.

— Cela ne fait rien… Il fait les révolutions aller et retour… mais c’est un gaillard que ce muletier !

— Oh ! señor, il a l’âme sensible, il ne ferait pas de mal à un cobaye… il tire toujours en l’air… D’ailleurs c’est bien connu qu’en Costa-Rica nous ne sommes pas sanguinaires comme dans les autres républiques voisines… nos révolutions n’ont jamais fait couler une goutte de sang.

Armand ne put s’empêcher de sourire en écoutant cette leçon d’histoire, donnée par un si gracieux professeur. Mais se penchant à la fenêtre, il vit un quatrième personnage qui causait avec ceux qu’il appelait plaisamment « sa garde d’honneur ».

— Jésus-Maria !… fit Concha… Voilà le général Zelaya !

— L’ancien président ?