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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Laisse ce Français en paix, les affaires de José n’intéressent que lui. Je compte sur toi, et vais sur la route de la capitale préparer le mouvement.

Et lui jetant sa bourse pleine de piastres et de dollars, le général Zelaya partit. Mais il n’avait pas semé seulement l’idée de révolte chez le siens ; un mot avait ravivé les soupçons de Lavarède.

Pourquoi José voulait-il l’éloigner tout un jour ?

Évidemment pour accomplir quelque vilaine entreprise contre la jeune Anglaise, son amie. À tout prix il fallait donc la rejoindre et arriver au château de la Cruz.

Mais comment ? Une minute de réflexion, puis il sourit. Il avait trouvé.

En son costume primitif, il descendit aussitôt dans le patio après s’être muni d’une chaise, et s’adressant au muletier…

— Mon ami, j’ai tout entendu et, si vous le voulez, je suis des vôtres… marchons contre don José.

Mais, à sa grande surprise, Hyeronimo fit un geste de dénégation. Les soldats eurent un mouvement de résignation fataliste.

— Non, señor, dit le muletier avec un certain sens pratique… Cette fois, je ne donnerai pas le signal… D’abord vous pensez bien que ce José résistera, le général m’a prévenu sans s’en douter… Il n’a pas encore touché son traitement, donc il ne voudra jamais s’en aller les mains vides… Et puis, nous venons d’y songer : il a habité l’Europe, il est armé, il nous tirera dessus !… Il n’est pas comme nous un vieux Costaricien ; le sang coulera. Nous sommes décidés à ce que ce ne soit pas le nôtre.

— Eh bien ! je vous offre que ce soit le mien…

Les trois hommes le regardèrent stupéfaits. Ils le trouvaient chevaleresque, mais un peu fou. N’y a-t-il pas d’ailleurs toujours un grain de folie dans l’héroïsme, folie noble mais certaine ?

Mais il brandissait sa chaise de façon tant soit peu menaçante. C’était une bonne chaise en bambou, solide, élastique ; une arme dangereuse dans la main d’un homme déterminé. Les indigènes, sans avoir besoin de se consulter, tombèrent d’accord. Il ne fallait pas contrarier l’Européen. Mais, tout en acceptant le sacrifice que leur proposait ce nouvel adhérent au parti, l’idée leur vint de prendre quelques précautions sages, inspirées par l’esprit de raison.

— C’est fort bien si la conspiration Zelaya réussit, fit le muletier ; mais si elle échoue… don José ne me pardonnera pas de vous avoir laissé échapper pour aller à Cambo donner le signal de la révolution.

— Et à nous non plus, ajoutèrent les deux soldats.