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L’ODYSSÉE D’UN PRÉSIDENT.

Lavarède fronça le sourcil et frappa le sol de sa chaise. Aussitôt l’un des guerriers, Indien terraba de naissance, — ce sont de très doux agriculteurs — eut une idée pratique.

— Que le seigneur Français veuille bien nous attacher, nous entraver au moins les jambes ; comme cela il nous aura mis dans l’impossibilité de le poursuivre et il sera évident que nous ne sommes pas ses complices.

— Soit, dit Armand, mais le temps presse… ligotez-vous réciproquement à la première mauvaise nouvelle que vous recevrez et cela suffira.

— Votre Grâce est trop bonne.

— Quant à toi, Hyeronimo, je vais prendre ta mule, la meilleure.

— Oh ! seigneur, mon gagne-pain !

La chaise frétilla.

— Prenez, prenez, s’empressa d’ajouter l’arriero ; la meilleure, c’est Matagna… regardez-la, on dirait un cheval anglais.

— Bien… il ne me manque plus qu’un vêtement convenable… Je ne me vois pas faisant une révolution… en caleçon de toile… même dans un pays chaud.

— Votre Excellence ne veut pourtant pas me dépouiller de mes habits !…

Tranquillement, le journaliste enleva le siège de bambou à bras tendu, et souriant :

— Mais justement si, mon Excellence ne veut pas autre chose. C’est même le meilleur moyen de te couvrir en cas de représailles… Allons, je te dépouille de gré ou de force.

— Tu as deux costumes, fit observer le Terraba, un de cuir en dessous et un de velours brodé par-dessus.

C’est l’usage, lorsqu’un convoi de muletiers doit traverser un pays de montagnes ou la température subit de brusques changements, comme en cette région. Hyeronimo regarda l’Indien de travers, donna un coup d’œil à la chaise et finalement se dépouilla de la large culotte à lacets et du gilet-veste de cuir qu’Armand revêtit aussitôt. Un sombrero emprunté au ranchero acheva la métamorphose.

Notre Parisien avait tout à fait l’air d’un indigène.

— Au fait, demanda-t-il, quel est donc ce signal que je dois donner ?

— Comme l’année dernière… trois coups de feu.

— Confie-moi alors ton revolver.

— Mais je n’en ai pas !… et puis j’en aurais un que je ne le donnerais pas à Votre Grâce…