Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/104

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s’enfoncent dans la vision de ces morts qui reviennent à eux. Il n’est pas du tout en train de lui faire la lecture, déclarai-je. Ils parlent d’« eux » ! Ils disent des choses horribles. Je sais bien que je vous parais folle : c’est bien un miracle si je ne le suis pas. À ma place, voyant ce que j’ai vu, vous le seriez devenue ; mais cela ne m’a rendue que plus lucide et m’a fait comprendre bien d’autres choses. »

Certes, ma lucidité devait sembler effrayante : mais les exquises créatures qui en étaient victimes, passant et repassant devant nous dans leur gracieux enlacement, donnaient à l’incrédulité de ma compagne un vigoureux appui. Et je vis combien elle s’y fiait, lorsque, sans broncher devant le feu de ma passion, elle continua de les couvrir de son même regard :

« Quelles autres choses avez-vous comprises ?

— Mais toutes celles qui m’ont enchantée, fascinée, — et cependant, au fond, — je le vois si étrangement à présent, — qui m’avaient mystifiée et troublée. Leur beauté plus qu’humaine, leur sagesse absolument anormale… Tout cela n’est que jeu, continuai-je, c’est une manière d’être, une affectation et une fraude !

— De la part des petits chéris ?

— Qui ne sont guère encore que de ravissants bébés ? Mais oui, tout insensé que cela paraisse ! »

Le fait même de l’exprimer m’aida vraiment à analyser mon impression… à remonter jusqu’à sa source et reconstituer le tout.

« Ce n’était pas qu’ils fussent sages : ils étaient absents, voilà tout. S’il a été si facile de vivre avec eux, c’est qu’ils vivent une existence à part de la nôtre. Ils ne sont pas à moi… à nous. Ils sont à lui — et à elle !

— À Quint et à cette femme ?

— À Quint et à cette femme. Ils veulent les reprendre. »

Ah ! comment les regarda alors Mrs. Grose ! « Mais pourquoi ?