Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

retrouvé la trace, j’aurais senti la blessure et le déshonneur ; mais je ne pouvais rien reconstituer du tout, donc c’était un ange. Il ne parlait jamais de son collège, ne citait jamais un maître ou un camarade, et moi, de mon côté, j’étais trop dégoûtée de tout cela pour y faire la moindre allusion.

Évidemment, j’étais sous le charme, et le merveilleux de l’affaire est que je savais parfaitement, même à ce moment-là, que je l’étais : mais je m’y abandonnais, c’était un antidote à la souffrance, et j’en avais de plus d’une sorte. Je recevais alors de chez moi des lettres inquiétantes, tout n’y marchait pas bien. Mais auprès de la joie que m’étaient mes enfants, quelle chose m’importait au monde ? C’était la question que je me posais pendant mes hâtives retraites : j’étais éblouie, enivrée de leur beauté.

Un certain dimanche, — il faut avancer, tout de même, — la pluie tomba si fort et si longtemps que nous ne pûmes, comme d’habitude, nous rendre processionnellement à l’église. Aussi, comme le jour s’avançait, je convins avec Mrs. Grose, que si le temps s’embellissait, nous irions ensemble à l’office du soir. La pluie cessa heureusement, et je me préparai pour notre promenade, qui, à travers le parc et par la grande route, jusqu’au village, était l’affaire de vingt minutes. Comme je descendais pour rejoindre ma collègue, dans le hall, je me souvins d’une paire de gants qui avaient eu besoin de quelques points et les avaient reçus — avec une publicité peu édifiante peut-être, — tandis que j’étais assise à leur thé avec les enfants. On le servait, le dimanche, par exception, dans ce temple, net et froid, en cuivre et en acajou, qu’était la salle à manger des grandes personnes. C’était là que j’avais laissé tomber mes gants, et j’y retournai les prendre.

Quoique le jour fût assez gris, la lumière de l’après-midi n’était pas disparue, et me permit, en passant le seuil, non seulement de reconnaître, sur une chaise, près de la grande fenêtre alors fermée, l’objet que je cherchais,