Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/63

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un immense secours — j’avoue que je m’en applaudis quand je porte mes regards en arrière — d’avoir envisagé si fortement et si simplement ma responsabilité. J’étais là pour protéger et pour défendre les petites créatures les plus abandonnées et les plus touchantes du monde, dont la faiblesse appelait à l’aide d’une façon trop explicite à mes yeux, et demeurait une profonde et constante souffrance pour l’affection que je leur avais vouée. Ensemble, nous étions isolés du monde : nous étions unis dans le même danger. Ils n’avaient que moi…, et moi… eh bien, moi, je les avais. En un mot, c’était une occasion magnifique. Cette occasion se présentait à moi sous une image essentiellement concrète : j’étais un écran, il me fallait me tenir devant eux. Ils verraient d’autant moins de choses que j’en verrais davantage. Je me mis à les observer, dans une attente étranglée, pour ainsi dire, une tension dissimulée qui aurait bien pu, à la longue, me conduire à la folie. Ce qui me sauva, je le vois maintenant, ce fut le tour différent que prirent les choses. L’attente ne dura pas : elle fut remplacée par des preuves épouvantables… Des preuves — oui, je dis des preuves — qui m’apparurent telles, à partir du moment où je réalisai pleinement la situation.

Ce moment data d’une certaine heure d’après-midi que je passai dans les parterres avec seulement ma plus jeune élève. Nous avions laissé Miles à la maison, sur le coussin rouge d’une profonde embrasure de fenêtre ; il avait désiré finir son livre, et j’avais été fort heureuse d’encourager une disposition si louable chez un jeune homme dont le seul défaut était une certaine mobilité irrépressible. Sa sœur, au contraire, s’était montrée ravie de sortir, et je me promenai avec elle une demi-heure, recherchant l’ombre, car le soleil était encore haut, et la journée exceptionnellement chaude. Je remarquai, une fois de plus, tandis que nous allions, combien, comme son frère — et c’était un don charmant de ces deux enfants, — elle savait me laisser à moi-même sans paraître m’abandonner,