Page:James - Le Tour d’écrou (trad. Le Corbeiller), 1968.djvu/85

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début, ils avaient montré une facilité, une disposition à tout apprendre, qui, sous une impulsion nouvelle, produisait des fruits remarquables. Ils accomplissaient avec amour leurs tâches enfantines, ils s’amusaient — pour le plaisir d’exercer leur don — à de menus miracles de mémoire que je ne leur aurais jamais imposés. Ce n’était pas seulement des tigres ou des Romains qui surgissaient devant moi, mais des personnages de Shakespeare, des astronomes, des navigateurs. Le cas était tellement particulier qu’il contribua, pour beaucoup sans doute, à me mettre dans un état d’esprit que j’ai peine aujourd’hui à m’expliquer autrement. Je fais ici allusion à la quiétude anormale dans laquelle je laissais dormir la question d’une nouvelle école pour Miles. Tout ce que je me rappelle, en effet, à ce sujet, c’est que je me contentais, pour le moment, de laisser cette question de côté, et que ce contentement devait naître de l’impression produite en moi par ses preuves perpétuelles et frappantes d’intelligence ; il était trop doué, trop intelligent pour qu’une pauvre petite institutrice, une modeste fille de pasteur pût lui nuire : et le plus étrange, sinon le plus brillant des fils de la tapisserie mentale dont je viens de parler, était la sensation qui, si j’avais osé l’analyser, se serait ainsi nettement formulée : il était soumis à une influence qui agissait comme un ferment prodigieux dans sa jeune vie spirituelle.

S’il était aisé d’admettre, cependant, qu’un garçon comme celui-là pût retarder sans inconvénient son entrée dans un collège, il était au moins aussi évident que le fait de flanquer à la porte un garçon comme celui-là constituait un mystère inexplicable. J’ajoute que, dans leur société, — et j’avais soin maintenant de ne presque jamais les quitter, — je ne pouvais suivre longtemps aucune piste. Nous vivions dans un tourbillon de musique, de tendresse, de réussite et de représentations théâtrales. Les dispositions musicales des deux enfants étaient des plus remarquables, mais l’aîné avait tout particulièrement le