Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/41

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Je fus sur le point de dire que ceci ne faisait qu’épaissir le mystère, mais elle m’apporta quelque soulagement en ajoutant :

— Avant votre arrivée, nous n’étions pas si réservées. Mais je ne sors jamais le soir.

— Jamais dans ces allées embaumées, qui s’épanouissent là, sous votre nez ?

— Ah ! dit Miss Tina, elles n’étaient guère agréables jusqu’ici !

Il y avait là plus de finesse, et une comparaison flatteuse, de sorte qu’il me sembla que j’avais remporté un avantage. Comme il m’était loisible de le poursuivre, en établissant un solide grief, je lui demandai pourquoi, puisqu’elle trouvait mon jardin agréable, elle ne m’avait jamais adressé aucun remerciement pour les fleurs que depuis trois semaines j’envoyais en de telles quantités. Cela ne m’avait pas découragé : comme elle avait pu l’observer, chaque jour apportait sa brassée ; mais j’avais été élevé selon les usages, et un mot de remerciement m’aurait touché à l’endroit sensible.

— Mais je ne savais pas qu’elles fussent pour moi !

— Elles vous sont destinées à toutes deux. Pourquoi ferais-je une différence entre vous ?

Miss Tina se plongea dans ses réflexions comme pour en tirer une raison à me donner, mais ne réussit pas à l’extraire. Au lieu de répondre, elle demanda brusquement :

— Pourquoi donc tenez-vous tant que cela à nous connaître ?

— Ici, je me permettrai de faire une différence, répliquai-je. Cette question est de votre tante ; elle ne vient pas de vous. Vous ne me la poseriez pas si elle ne vous avait pas été soufflée.

— Elle ne m’a pas dit de vous interroger, répliqua Miss Tina, nullement confuse. Elle était vraiment le plus singulier mélange de timidité et d’aplomb.