Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle m’en raconta plus long sur leurs affaires que je n’avais osé espérer ; il n’y avait pas à la pousser, car, rien que de sentir auprès d’elle de l’attention et de l’intérêt, ses épanchements coulaient de source. Elle cessa de s’étonner de ma manière amicale, et, à la fin, pendant qu’elle me décrivait la vie brillante qu’elles avaient menée autrefois, cela devint presque du bavardage. C’était Miss Tina qui qualifiait cette vie de brillante. Elle me dit que lors de leur arrivée à Venise, il y avait de cela fort longtemps (je la trouvai remarquablement vague quant aux dates et à l’ordre dans lequel les événements s’étaient passés), il ne se passait pas de semaine qu’elles ne reçussent de visite ou ne fissent quelque agréable « passeggio » en ville. Elles avaient vu toutes les curiosités ; elles avaient même été au Lido en bateau ; elle m’en parlait comme si je croyais qu’il fût possible d’y aller à pied ; elles y avaient fait une collation, apportée dans trois paniers qu’on avait ouverts sur l’herbe.

Je lui demandai quelles personnes elles fréquentaient, elle dit : « Oh ! des gens très bien. » Le cavaliere Bombicci, et la comtesse Altemura, qui était leur grande amie ; des Anglais aussi : les Churtons et les Goldies ; et Mrs Stock-Stock, qu’elles aimaient tant, elle était morte et disparue, la pauvre amie ! Il en était ainsi de la plupart des membres de leur aimable cercle (cette expression fut celle de Miss Tina), bien que quelques-uns leur demeurassent encore fidèles, ce qui était extraordinaire étant donné qu’elles les négligeaient tant. Elle cita les noms de deux ou trois vieilles dames vénitiennes ; d’un certain docteur, plein de talent, et si dévoué ; il venait chez elles en ami, il n’exerçait plus ; de l’ « avvocato » Pochintesta, qui écrivait de beaux vers et en avait adressé à sa tante.

Tous ces gens-là venaient les voir, sans faute, chaque année, généralement au « capo d’anno », et, autrefois, sa tante leur offrait de petits présents, sa