Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/60

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que cela me fera prolonger mon séjour ?

— Elle croit que vos impressions se modifieront si vous la voyez quelquefois. Elle désire tellement que vous restiez, qu’elle est prête à faire cette concession.

— Et en quoi, d’après elle, mes impressions pourraient-elles se modifier, si je la revois ?

— Je ne sais pas : elle est peut-être intéressante, dit Miss Tina avec simplicité, vous le lui avez dit.

— C’est vrai ; mais ce n’est pas l’avis de tout le monde.

— Non, évidemment, sinon plus de personnes tenteraient de venir.

— Eh bien, si elle est capable de faire cette réflexion, elle est capable de faire celle-ci, continuai-je ; C’est qu’il faut que j’aie une raison particulière pour ne pas agir comme tout le monde en dépit de l’intérêt qu’elle offre — en ne l’abandonnant pas à elle-même !

Miss Tina ne sembla pas saisir le sens de cette phrase plutôt compliquée ; je poursuivis donc : « Si vous ne lui avez pas raconté ce que je vous ai dit l’autre soir, peut-elle du moins l’avoir deviné ? »

— Je ne sais pas : elle est très soupçonneuse.

— Mais ce ne sont pas des curiosités indiscrètes, des persécutions, qui en sont cause ?

— Non, non, ce n’est pas cela, dit Miss Tina en tournant vers moi un visage troublé. Je ne sais comment dire : c’est par rapport à quelque chose dans sa vie, il y a des siècles, avant ma naissance.

— Quelque chose ? Quelle espèce de chose ? Je posai la question comme si je ne pouvais avoir aucune idée de cette chose.

— Oh ! elle ne me l’a jamais dit. Et ici, j’étais certain que mon amie disait vrai. Son extrême limpidité était presque exaspérante, et je pensai, l’espace d’un moment, qu’elle aurait été d’un commerce plus agréable en étant moins ingénue.

— Supposez-vous que cette chose ait un rapport avec les lettres et les papiers de Jeffrey Aspern — je veux dire ces affaires qui sont en sa possession ?

— Je le croirais volontiers, s’écria ma compagne, comme si je venais de lancer une heureuse hypothèse. Je n’ai jamais jeté un coup d’œil sur ces affaires.

— Sur aucune ? Alors comment savez-vous qu’elles sont ?

— Je ne le sais pas, dit Miss Tina, placidement. Je ne les ai jamais tenues dans mes mains. Mais je les ai vues, quand elle les sort.

— Est-ce qu’elle les sort souvent ?

— Pas maintenant, mais autrefois. Elle y tient beaucoup.

— En dépit de leur caractère compromettant ?

— Compromettant ? répéta Miss Tina comme si elle cherchait quel sens à donner à ce mot. Je me sentais presque dans