Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeuré ; vous aviez l’air de dire qu’elle les avait transférés ailleurs.

— Oh oui ! ils ne sont pas dans la malle, dit Miss Tina.

— Oserai-je vous demander si vous y avez regardé ?

— Oui, j’y ai regardé… pour vous.

— Pour moi, chère Miss Tina ? Comment cela ? Voulez-vous dire que vous me les auriez donnés, si vous les aviez trouvés ? et je tremblais presque en lui posant cette question.

Elle tardait à me répondre, et j’attendis.

Subitement elle laissa échapper :

— Je ne sais ce que je ferais… ce que je ne ferais pas.

— Voudriez-vous chercher encore ? ailleurs ?

Elle avait parlé avec une émotion étrange et inattendue, et elle continua de même :

— Je ne peux pas… je ne peux pas… tant qu’elle est là. Ce n’est pas convenable.

— Non, ce n’est pas convenable, répliquai-je gravement. Que la pauvre dame repose en paix !

Et ces mots, sur mes lèvres, n’étaient pas hypocrites, car je me sentais honteux et répréhensible. Miss Tina reprit bientôt (elle semblait deviner mes pensées et en souffrir pour moi, mais en même temps vouloir marquer que je la poussais, ou du moins que j’insistais trop sur le même sujet) :

— Je ne peux pas la tromper de cette façon ; je ne peux pas la tromper, peut-être à son lit de mort.

— Le ciel me préserve de vous le demander, bien que je sois coupable moi-même !

— Vous, coupable ?

— Je navigue sous pavillon de contrebande. Je sentis qu’il fallait maintenant marcher à fond, lui avouer que j’avais pris un faux nom, de peur que sa tante n’eût entendu parler de moi, et, à cause de cela, refusât de me recevoir. Je lui expliquai tout, et aussi que j’étais de moitié dans la lettre que leur avait adressée John Cumnor, quelques mois auparavant.

Elle écouta avec une profonde attention, la bouche quasi ouverte d’étonnement, et, quand ma confession fut achevée, elle dit :

— Alors, votre vrai nom… quel est-il ?

Lorsque je le lui dis, elle le répéta deux fois de suite, avec des exclamations : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » Puis elle ajouta :

— Je préfère le vôtre.

— Moi aussi. Je sentais que mon rire sonnait faux. « Ouf ! C’est une délivrance d’être débarrassé de l’autre ! »

— Ainsi c’était un vrai complot ? une espèce de conspiration ?

— Oh ! une conspiration ! Nous n’étions que deux, répliquai-je, laissant, bien entendu, Mrs Prest de côté.