Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/592

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lution sociale ne sera possible que lorsque les diverses nationalités de la péninsule seront libres de tout joug extérieur. C’est pourquoi nous voudrions voir toute la péninsule prendre feu, s’insurger sans attendre l’arrivée des armées russes, les populations se grouper librement, sans se laisser imposer les lois de leurs sauveurs, et en finir une fois pour toutes avec ce préambule nécessaire de la révolution sociale dans la péninsule, le démembrement de l’empire ottoman.


Chose incompréhensible pour nous, le Vorwärts, l’organe du Parti socialiste allemand, était, lui, nettement turcophile, et faisait des vœux pour le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman. À Londres, Karl Marx s’agitait beaucoup pour gagner des partisans à la cause turque[1] ; il s’alliait aux tories anglais contre le slavophile Gladstone, et menait dans la presse — en se cachant, bien entendu — toute une campagne en faveur du sultan. Il a raconté lui-même ses manœuvres dans une lettre à son ami Sorge (27 septembre 1877), à qui il écrivait : « Maltman Barry est ici mon factotum : c’est par son canal que j’ai dirigé pendant des mois, incognito, un feu croisé contre le russomane Gladstone dans la presse fashionable de Londres (Vanity Fair et Whitehall Review), ainsi que dans la presse provinciale anglaise, écossaise et irlandaise ; que j’ai dévoilé son intrigue (Mogelei) avec l’agent russe Novikof, avec l’ambassade russe à Londres, etc. ; c’est aussi par lui que j’ai agi sur des parlementaire anglais de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords, qui lèveraient les bras au ciel s’ils savaient que c’est le docteur de la terreur rouge (Red-Terror Doctor), comme ils m’appellent, qui a été leur souffleur dans la crise d’Orient. Cette crise marque un nouveau tournant de l’histoire européenne. La Russie était déjà depuis longtemps à la veille d’un bouleversement, dont tous les éléments sont prêts. Les braves Turcs auront avancé l’explosion de plusieurs années, par les coups qu’ils ont portés non pas seulement à l’armée russe et aux finances russes, mais encore à la dynastie commandant l’armée, dans les augustes personnes du tsar, du prince héritier et de six autres Romanof. Le bouleversement commencera, secundum artem, par des amusettes constitutionnelles, et il y aura un beau tapage[2]. Si la mère nature ne nous traite pas trop défavorablement, nous assisterons encore à la fête. Les bêtises que font les étudiants russes (das damne Zeug, das die russischen Studenten machen) n’est qu’un symptôme, sans valeur en soi (ist nur Symptom, an sich selbst werthlo). Mais c’est un symptôme. »

En juin, Bebel fut condamné à neuf mois de prison pour la publication d’une brochure de propagande, et Liebknecht fut incarcéré à Leipzig pour y purger une condamnation à deux mois de prison. En même temps, on annonça que Dühring était menacé de se voir retirer le droit d’enseigner : un certain nombre d’étudiants de l’université de Berlin signèrent aussitôt une adresse disant leur sympathie et leur respect pour un homme qui avait « toujours courageusement exprimé et défendu son opinion au milieu des circonstances les plus difficiles ». La mesure de révocation n’en fut pas moins prise : le motif officiellement donné fut que la Faculté de philosophie de l’université avait relevé, dans deux ouvrages de Dühring, Kritische Geschichte der Prinzipien der Mechanik, et Der Weg zur höheren Berufsbildung der Frauen, des passages condamnables. Les étudiants de l’université de Berlin, unis à ceux des Écoles supérieures d’arts et métiers, d’architecture, des mines, firent une assemblée de protestation (29 juin) ; les étudiants de l’université de Leipzig envoyèrent une adresse de félicitation et de sympathie au « Privat-docent » révoqué. Le Bulletin écrivit à ce sujet : « Pauvre Dühring ! voilà tous les pédagogues révoltés contre lui ! Engels, le pédagogue d’un État, — l’État ouvrier, — a essayé de l’exécu-

  1. On a vu (t. III. p. 141), par une lettre de Mme  Marx de janvier 1811, comment Wroblewski devait s’engager dans l’armée turque.
  2. En français dans le texte.