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d’Albert Richard (no 1, 3, 5, 10, 11, 12). Bakounine écrivit un article contre les bourgeois de la Ligue de la paix, à propos du journal la Fraternité de M. La Rigaudière (no 6), un article sur la double grève de Genève (no 11), et un article sur la situation en Russie (no 13). Je n’adressai qu’une seule lettre à l’Égalité pendant ce trimestre (correspondance du Locle, dans le no 4), mais Perron reproduisit trois de mes articles du Progrès (dans les no 3, 7 et 13). Schwitzguébel envoya deux correspondances de Sonvillier (no 2 et 19). Le journal, dont le Conseil de rédaction avait confié la direction à Ch. Perron, exprimait fidèlement les diverses tendances qui se manifestaient dans la grande Association, et il est très instructif à consulter pour qui veut se faire une idée de l’ensemble de la propagande socialiste dans cette année 1869, l’année qui précède le duel entre la France et l’Allemagne et la fin du second Empire.

Un épisode caractéristique est celui de la courte collaboration d’André Léo (Mme Léodile Champseix). Dans son no 6 (27 février), l’Égalité annonçait en ces termes que Mme Champseix, qui était l’amie de Malon et des deux frères Élie et Élisée Reclus, allait écrire dans ses colonnes : « Nous enregistrons une nouvelle qui fera, nous n’en pouvons douter, le plus grand plaisir à nos lecteurs. Un des premiers écrivains socialistes de France, Mme André Léo, a bien voulu nous donner l’assurance[1] qu’elle consentait à prendre place parmi les collaborateurs de l’Égalité. » Le journal reçut bientôt une lettre de Mme André Léo, datée du 2 mars, expliquant que, d’accord avec la rédaction de l’Égalité sur le but, elle différerait quelquefois sur les moyens ; elle déclarait qu’il ne fallait pas traiter en ennemis ceux qu’elle appelait les « attardés », mais respecter leur liberté et repousser tout dogmatisme ; en d’autres termes, elle voulait l’union de tous les amis du progrès, sans distinction d’étiquette. La rédaction publia cette lettre (no 8, 13 mars), mais la fit suivre de quelques observations écrites par Perron. « Nous comprenons, disait-elle, le sentiment élevé qui a dicté la lettre qu’on vient de lire, mais nous ne saurions nous laisser entraîner par ces élans de cœur ; nous savons trop qu’ils ont toujours réussi à perdre la cause du peuple » ; il ajoutait que « tout compromis, toute concession aurait pour effet de reculer l’émancipation complète du travail » ; et que, pour cette raison, le Congrès de Bruxelles avait « manifesté la volonté des travailleurs de rompre avec la démocratie bourgeoise ». Mme André Léo et quatre de ses amis envoyèrent à l’Égalité des réponses que celle-ci refusa de publier ; et cette fois ce fut Bakounine lui-même — l’entrefilet n’est pas signé, mais certains coups de boutoir en indiquent suffisamment la provenance — qui se chargea de dire leur fait aux partisans de la conciliation ; voici le langage qu’il tint (no 10, 27 mars) :


Nous avons reçu deux lettres, l’une de Mme André Léo, l’autre signée collectivement par quatre personnes : MM. Élie Reclus, Louis Kneip, A. Davaud, et Albert, cordonnier[2]. Ces deux lettres sont inspirées du même esprit de conciliation vis-à-vis de cette bonne classe bourgeoise qui nous mange si tranquillement tous les jours, comme si c’était la chose la plus naturelle et la plus légitime du monde, et de protestation contre les tendances de notre journal, parce qu’ayant arboré le drapeau de la franche politique du prolétariat il ne veut consentira aucune transaction. C’est vrai, nous avons les transactions en horreur. L’expérience historique nous démontre que dans toutes les luttes politiques et sociales elles n’ont jamais servi que les classes possédantes et puissantes, au détriment des travailleurs.

  1. Perron venait de faire un voyage à Paris, et en avait rapporté la promesse de la collaboration de Mme André Léo.
  2. Cet « Albert, cordonnier », n’est autre que l’ex-officier russe Vladimir Ozerof, qui habitait alors Paris et gagnait sa vie à faire des souliers. Il sera question de lui dans la Troisième Partie.