C'est ce vulgaire personnage, menteur et vaniteux, que Perron et
Robin avaient pris en tiers dans le journal et dans leur propagande :
Et pourtant — ajoute Bakounine — le jour même de mon départ je les avais suppliés encore de se bien garder de ce petit intrigant. Moi qui le connaissais, je savais ce qu'il valait et ce qu'il voulait. Perron me répondit « qu'il fallait s'occuper des principes et non des personnes ». Je haussai les épaules et je me tus. Je voudrais savoir ce qu'il en pense maintenant : qui de nous deux avait raison, lui ou moi ?
J'ai parlé des assemblées générales du mercredi, au Temple-Unique, à
Genève. Dans celle du 3 novembre, Outine, revenant sur son discours de
la semaine précédente, qui avait provoqué une réplique de Bakounine,
déclara que les idées qu'il avait exposées n'avaient pas été comprises : il
essaya de se poser en révolutionnaire, en disant qu'il croyait, lui aussi,
qu'une révolution sociale violente était inévitable, mais qu'il fallait la préparer par l'organisation ouvrière ; et il lut des résolutions tendant à organiser sur le modèle des Trades Unions les sociétés de résistance suisses.
Perron et Robin appuyèrent Outine. Un autre membre exposa un projet de
fédération internationale des sociétés d'un même métier. Une commission
fut nommée pour étudier les divers projets. Perron donna ensuite lecture
d'un projet pour l'organisation de la propagande, rédigé par Robin ; on y
lisait entre autres : « Nous conseillons de répandre à profusion, d'afficher
partout, de courtes proclamations, toujours terminées par l'adresse des
groupes auprès desquels les travailleurs trouveront tous les renseignements désirables... Nous voyons que, pour maintenir les superstitions
qu'ils exploitent, les prêtres de toutes les sectes répandent des médailles,
des images ; nous aussi, répandons-en à profusion, et sachons vaincre nos
ennemis en employant leurs propres armes... Fabriqués avec intelligence
sur une grande échelle, ces petits engins si puissants sont d'un bon marché incroyable : proclamations à 15 ou 20 centimes le cent, médailles à 2 ou
3 centimes au plus, grandes lithographies à 10 centimes, petites à 1 centime... Il faut que tout homme qui a vraiment à cœur le progrès de nos
doctrines achète de ces produits débités à un prix accessible aux plus
petites bourses, et qu'il les emploie largement. » L'assemblée adopta ce
projet à l'unanimité. Dans les réunions suivantes, 10, 17 et 24 novembre,
1er décembre, on parla de la coopération — à propos de laquelle Outine
cita de nouveau l'exemple des sociétés anglaises, qui, après avoir commencé avec des versements de 1 shilling par mois, possédaient maintenant
des millions — et du crédit : l'idée fut émise, le 1er décembre, au nom des
trois commissions qui avaient été chargées d'étudier les trois questions des
sociétés de résistance, de la coopération, et du crédit, de verser tous les
fonds qui « dormaient » dans les caisses de résistance des sociétés ouvrières
genevoises (140.000 fr. environ) dans une caisse centrale unifiée, chargée à
la fois de créditer les diverses entreprises des travailleurs et de soutenir