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délégués italiens : Tanari, de Bologne, le marquis socialiste, et Gaspare Stampa, de Milan, un beau vieillard, doux comme un enfant. Il s'agissait d'aller à la rencontre de Garibaldi[1], et de l'amener incognito au Congrès. Les deux Italiens se mirent en campagne : mais le retard apporté au voyage du général fit échouer leur plan ; en effet, Garibaldi ne traversa Lausanne que le dimanche 8 septembre.

Le souvenir encore d'une matinée passée « sur Montbenon » à contempler le lac et à causer politique, en compagnie des trois docteurs, Kugelmann, Büchner et Coullery. C'était une matinée de vacances, l'unique, hélas ! Le bureau nous avait licenciés pour permettre à quelques commissions de se réunir et d'achever leur travail.

Quelquefois, le soir, vers minuit, après avoir achevé de noircir mon papier[2], j'allais, la tête tout en feu, demander à mes voisins les Anglais un peu de distraction. Ils me recevaient avec une cordialité sans façon : Walton m'offrait un verre de vin, Lessner une chaise, et Eccarius interrompait sa correspondance du Times pour me développer la théorie de Marx. Heureux moments ! Je remplirais un volume de ce que j'ai appris en huit jours avec ces vieux champions du droit et de la justice. Puis, quand décidément l'heure devenait indue, j'allais rejoindre Vézinaud, que mon arrivée réveillait. Nouvelle conversation. Et lorsque enfin, fatigué, je me mettais à mon tour dans mon lit, survenait invariablement Coullery, qui s'asseyait sur une malle à côté de nous et discourait de omni re scibili jusqu'à deux heures du matin.

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Je comprends que Proudhon ait écrit un traité en faveur de la célébration du dimanche. Après une semaine de consciencieuse besogne, avec quelle inexprimable volupté ne savoure-t-on pas les délices d'un jour de trêve !

Les délégués du Congrès ouvrier devaient consacrer leur dimanche à une promenade en bateau à vapeur à Chillon, et certes ils avaient bien gagné ce délassement. À huit heures du matin, un nombreux cortège, que précédait une excellente musique, et dans lequel flottaient une trentaine de drapeaux, se rendit à Ouchy. La journée était splendide, la joie brillait sur tous les visages. Le bateau nous emporta rapidement sur les flots limpides du lac ; ceux de nos amis pour qui la vue de l'admirable paysage était nouvelle ne pouvaient en détacher leurs yeux ; et nous aussi, quoique familiers avec ces belles choses, nous les regardions avec un ravissement inépuisable : les coteaux verdoyants de la rive vaudoise, les cimes hardies des Alpes du Valais, et surtout la ligne si harmonieuse des montagnes de Savoie.

... Au retour, tandis que nous contemplions de nouveau le paysage, un train de chemin de fer, venant de Villeneuve, passa sur la rive : ce train conduisait Garibaldi à Genève. Nous le savions, et une impatience fiévreuse nous prit d'être au lendemain, car c'était le lundi 9 septembre que s'ouvrait le Congrès de la paix.

Un banquet populaire réunit le soir les délégués et leurs amis au Casino. Deux ou trois mille personnes des deux sexes se pressaient

  1. Garibaldi devait passer par Lausanne en se rendant à Genève au Congrès de la paix.
  2. Je rédigeais chaque soir les procès-verbaux des séances.