Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/91

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parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État, tandis que moi je veux l'abolition de l'État, — l'extirpation radicale de ce principe de l'autorité et de la tutelle de l'État, qui, sous le prétexte de moraliser et de civiliser les hommes, les a jusqu'à ce jour asservis, opprimés, exploités et dépravés. Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non du haut en bas par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voulant l'abolition de l'État, je veux l'abolition de la propriété individuellement héréditaire, qui n'est qu'une institution de l'État, une conséquence même du principe de l'État. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste.


La majorité, après un débat très vif, où Bakounine avait été combattu entre autres par Chaudey, Fribourg, et Ladendorf, rejeta le projet de résolution présenté par les socialistes[1].

Dans la séance du lendemain fut discutée la question de la séparation de l'Église et de l'État, et ce fut l'occasion pour Bakounine d'affirmer nettement sa philosophie : « Qui veut Dieu, dit il, veut l'esclavage des hommes. Dieu et l'indignité de l'homme, ou bien la liberté de l'homme et l'annulation du fantôme divin. Voilà le dilemme, il n'est point de milieu ; choisissons. »

Le 25, la minorité du Congrès annonça qu'elle se séparait de la Ligue, et donna lecture de la déclaration suivante :


« Considérant que la majorité des membres du Congrès de la Ligue de la paix et de la liberté s'est passionnément et explicitement prononcée contre l’égalisation économique et sociale des classes et des individus, et que tout programme et toute action politique qui n'ont point pour but la réalisation de ce principe ne sauraient être acceptés par des démocrates socialistes, c'est-à-dire par des amis consciencieux et logiques de la paix et de la liberté, les soussignés croient de leur devoir de se séparer de la Ligue. »


Parmi les signataires de cette déclaration, au nombre de dix-huit, se trouvaient Élisée Reclus, Aristide Rey, Charles Keller, Victor Jaclard,

  1. Le Congrès des Sociétés ouvrières allemandes (deutsche Arbeitervereine), réuni à Nuremberg le 5 septembre sous la présidence de Bebel, et le Congrès du Parti allemand du peuple (deutsche Volkspartei), réuni à Stuttgart le 19 septembre, venaient l'un et l'autre de donner leur adhésion au programme de l'Internationale. Eccarius avait assisté au Congrès de Nuremberg comme représentant du Conseil général de l'Internationale, et d'une lettre adressée par Karl Marx à Schweitzer le 13 octobre 1868 il résulte qu'aux yeux de Marx le mouvement de classe du prolétariat allemand était exclusivement représenté par les Sociétés ouvrières du Congrès de Nuremberg et par la Volkspartei saxonne. (Fr. Mehring, Geschichte der deutsche Sozialdemokratie, 2e éd., t. I, p. 337). Le Congrès de Nuremberg et le Congrès de Stuttgart avaient l'un et l'autre envoyé des délégués au Congrès de la paix de Berne : or ces délégués allemands votèrent avec la majorité contre la proposition de la minorité socialiste. — Dans le Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 38, par un lapsus, j'avais écrit « le Congrès d'Eisenach » pour « le Congrès de Nuremberg » me trompant d'un an ; un pamphlétaire allemand, à ce propos, m'a récemment accusé de mauvaise foi : ce sont aménités auxquelles les écrivains d'une certaine coterie nous ont habitués.