Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/23

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a pris connaissance, il remet gravement ses verres sur son nez, et nous promet de nous conduire chez notre marchand, en sortant du consulat. Un de nos compagnons propose alors l’explication suivante : Les Japonais, honteux de copier textuellement l’organisation de la police de New-York, ont adjoint à l’uniforme des agents de police une paire de lunettes, destinée à rendre leur vue plus perçante, et à les rendre ainsi plus aptes à remplir leurs fonctions. Cependant cette explication, tout ingénieuse qu’elle puisse être, n’est présentée au lecteur que sous toute réserve, en lui laissant le soin d’en découvrir une plus plausible et surtout moins risible.

Enfin, après avoir franchi les barrières blanches, qui font ressembler, — de loin seulement, bien entendu, — l’habitation du consul du Japon aux élégantes villas dont les environs de Saratoga sont peuplés, nous entrons dans le jardin consulaire. Un magnifique sapin, rappelant à s’y méprendre, par son port et par son feuillage, les hôtes des forêts du Liban, couvre de son ombrage le perron du bâtiment principal. Là encore, les formes de l’Occident se marient aux styles de l’Orient : l’entrée, la forme des pièces, l’ameublement rappellent bien le besoin d’imitation du peuple japonais, tandis que les portes qui s’ouvrent en glissant sur des coulisseaux, les fenêtres qui occupent toute la hauteur de la pièce, jusqu’au niveau du parquet, restent comme des souvenirs d’une civilisation qui tend à disparaître, devant les efforts combinés de nos ingénieurs et de nos commerçants. Le rez-de-chaussée du consulat est occupé, d’un côté par les bureaux de la chancellerie et de la poste, de l’autre par une vaste salle de réception, à plafond bas, dont le centre est occupé par une grande table recouverte d’un tapis vert et entourée de larges fauteuils : une salle de réunion toute prête pour les futurs congrès européens, que la question coréenne ne tardera pas à faire surgir. Mais cette salle n’est malheureusement pas la seule innovation introduite par le Mikado dans les États de son bien-aimé frère de Séhoul. Des fenêtres du consulat, nous voyons un croiseur de guerre, portant les couleurs du Japon, dormir paisiblement dans la baie, semblable à un fauve guettant sa proie. L’œuvre, sortie des mains des fils de la pacifique Albion, n’est venue dans ces régions que pour y semer la crainte pendant son sommeil, la mort et la désolation à son réveil.

Comme il était facile de le supposer, notre visite au représentant