Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/48

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geante. Heureusement Ikoura, notre excellent guide, a compris le désappointement de notre ami, et au lieu de se moquer de son ignorance, il s’empresse de nous tirer d’embarras, en buvant lui-même dans sa tasse pour nous montrer la manière d’arrêter au passage les feuilles qui viendraient gâter, par leur saveur acre, le nectar de l’Extrême-Orient. Il prend délicatement sa tasse des deux mains, la porte à ses lèvres, puis avec ses index il fait légèrement basculer le couvercle qui s’enfonce, du côté de la bouche, dans la tasse, ouvrant ainsi une fissure, entre le bord du couvercle et la paroi de la tasse, qui laisse passer le liquide et arrête les feuilles au passage.

Comme Ikoura est auprès de moi, j’ai suivi avec attention son petit manège, et j’essaie de l’imiter ; malheureusement la chose exige une grande dextérité, et le couvercle de ma tasse chavire complètement, en éclaboussant tout son contenu sur moi, à la grande joie de mes compagnons. Après cet essai infructueux, nous demandons un grand bol, et nous filtrons notre thé à travers le coin d’un mouchoir.

L’aubergiste revient, les mains vides cette fois ; il engage avec notre guide une conversation animée à laquelle nous ne comprenons rien, mais que nous pensons avoir pour sujet la carte du jour. En effet, on nous proposa une suite de mets plus mauvais les uns que les autres, et, après de longues discussions, notre menu fut ainsi composé : 1o œufs durs, 2o riz bouilli assaisonné avec de petits poissons salés assez semblables aux sardines, 3o poule bouillie, et 4o petits gâteaux ronds au millet.

Après le déjeuner, auquel nous fîmes autant d’honneur qu’à un somptueux festin servi dans un grand restaurant de Paris, nous allâmes nous rendre dans un pré, à peu de distance du château-fort. Le soleil brillait, dans un ciel sans nuages, et sa chaleur douce invitait au sommeil. Aussi plusieurs d’entre nous, insensibles aux beautés d’un paysage coréen, ne tardèrent pas à s’endormir profondément.

De l’endroit où nous étions installés, la vue s’étendait à gauche sur la baie de Fou-sang ; notre navire et le stationnaire japonais dessinaient nettement leurs légères mâtures dans une atmosphère d’une pureté sans égale, et par l’entrée de la rade, dans l’échancrure de la côte, on apercevait un coin tout ensoleillé de la pleine mer, où une jonque étalait sa grande voile d’une blancheur éblouissante.