Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/50

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lorsque la cloche du bord sonne le cinquième quart, je suis déjà en train d’avaler une tasse de café bouillant pour me réchauffer. Tandis que mes compagnons s’habillent avec peine, encore à moitié endormis, je monte sur le pont pour jouir du spectacle d’une terre coréenne au point du jour.

Il fait déjà grand jour. Cependant le soleil est encore caché derrière les collines qui s’élèvent au-dessus du château-fort de Fou-sang, et qui m’empêchent d’apercevoir Toraï-fou, le but de notre excursion. Sur la route qui borde la rive, de blanches formes, vont et viennent et indiquent que la vie coréenne est déjà éveillée ; seulement les Coréens ressemblent moins à des fantômes à l’aurore qu’au crépuscule ; on distingue leur chapeau conique et leurs pieds chaussés de noir, ce qui permet de suite de voir que l’on a affaire à des humains et non à des revenants. Dans la concession japonaise, tout paraît encore endormi et seul, du haut de son mât, le pavillon du Mikado, — un drapeau blanc avec un grand soleil rouge au milieu, — couvre encore de son ombre les sujets de son maître, même pendant leur sommeil. Quant au croiseur japonais, il n’a nullement l’air de s’inquiéter outre mesure du voisinage des féroces Coréens, et le calme qui règne à son bord me porte à penser que les intentions malfaisantes de ces derniers, au sujet desquelles le représentant du Mikado a dépensé avec nous les plus beaux trésors de son éloquence asiatique, ne prennent point volontiers pour point de mire les habitants du pays « du soleil levant ». Seul un marin japonais, tout de blanc habillé, bat son quart à la fraîcheur du matin, sur le gaillard d’avant ; il y est seul, et l’absence d’un officier sur le pont montre que le commandant du navire ne redoute ni les attaques du perfide océan, ni celles des sauvages indigènes.

Voici le canot qui va nous porter à terre. Il accoste l’échelle du bord. On y descend nos bagages, et nous nous embarquons, emportant avec nous les meilleurs souhaits de ceux d’entre nous qui sont retenus à bord par les nécessités du service. La marée qui monte forme dans la baie un léger remous, insensible à la vue, mais qui suffit pour faire danser notre embarcation très chargée, et d’habitude fort volage, à ce qu’affirme l’un de nous. Un autre, devant cette affirmation, prétend au contraire que notre esquif est le plus stable de la canonnière, et sur ce, une longue discussion technique s’engage au sujet des aptitudes nautiques des quatre