Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/58

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de Toraï-fou. Avant d’arriver à l’entrée de la ville, nous traversons un beau pont en pierre, qui a au moins cent cinquante pas de longueur. J’interroge notre guide pour savoir le nom du cours d’eau qu’il traverse ; il me répond que c’est te Senheïbachi ; mais après plus amples informations, prises à la concession japonaise, je crois que ce nom s’applique au pont et non point au cours d’eau sans importance, qui sert de fossé aux murailles de la ville du côté sud.

Sur le pont, le mouvement est très actif et présente un aspect curieux. Voici d’abord grand nombre de petits mendiants avec leur désagréable boîte à musique, qui font un tintamarre si effroyable que nos pauvres poneys, malgré leur fatigue et l’habitude qu’ils devraient avoir d’entendre semblable concert, se refusent d’abord à s’engager sur le pont ; ils se mettent à s’agiter, à ruer au milieu de la foule des portefaix qui entrent et qui sortent de la ville. Ces derniers qui portent leur fardeau avec des crochets, marchent à moitié courbés en deux, ce qui les empêche de voir devant eux ; aussi n’ont-ils pas le temps de se garer des gambades de nos ex-montures. Quelques-uns d’entre eux sont culbutés ; ils se relèvent furieux et se mettent à crier très fort, en s’adressant à ceux de nos porteurs coréens qui faisaient fonctions de grooms, dans notre caravane. Nous ne comprenons pas un mot à ce qu’ils disent ; mais le ton dont ils débitent leur chanson nous laisse deviner qu’elle n’est point à la louange de nos hommes ; ces derniers, peu flattés, s’arrêtent à leur tour, déposent leur fardeau, et se mettent à répondre, sans doute sur le même air, à leurs adversaires.

Peu rassurés sur le sort de nos bagages, nous faisons halte sur le pont, et nous prions les deux agents de police et notre interprète de s’interposer entre les deux partis, pour mettre fin à la dispute ; mais à ce moment ce dernier fait la sourde oreille, et semble avoir oublié tout à coup son peu d’anglais. Assez ennuyés de ce retard, nous nous consultons pour savoir s’il n’allait pas bientôt être nécessaire de dégager nos porteurs, à l’aide de nos fouets de chasse, afin de sauvegarder notre garde-manger, lorsque nous voyons arriver, dans la direction d’où nous venions nous-mêmes, un gros Coréen monté sur un poney tenu en bride par un domestique. Ce cavalier était, comme tous ses compatriotes, vêtu de blanc des pieds à la tête ; cependant, des deux côtés du plastron de sa robe, pendaient deux longues bandes de soie bleue. Comme la dispute, en se généralisant, avait fini par former un rassemblement qui interceptait le