Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/59

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passage, il s’en fut avec sa monture au beau milieu du groupe des disputeurs, sans faire aucune attention à leurs pieds et à leurs bras. Ces derniers, au lieu de se formaliser de cette intervention assez brutale, se turent aussitôt ; quelques-uns même esquissèrent une génuflexion en guise de salut. Une fois le silence rétabli, notre homme adressa quelques questions à deux ou trois porteurs, puis suffisamment renseigné, sans doute, il fit à la foule une petite harangue, et tout le monde se dispersa.

Après avoir ainsi apaisé un orage qui menaçait, avant son intervention, de se changer en tempête, notre homme traversa le pont avec une respectable lenteur, passa auprès de nous, sans avoir même l’air de nous remarquer, sans doute pour ne point compromettre sa dignité en se laissant aller à un mouvement de curiosité, et disparut à nos yeux, dès qu’il eut franchi la porte sud. Pendant toute cette scène, ce pacificateur avait montré qu’il possédait une des qualités saillantes du caractère asiatique : le calme. Lorsqu’il avait questionné les porteurs, il leur avait parlé lentement, sans élever le ton de sa voix, et sans qu’aucune pantomime vint en aide à ses paroles. De même, lorsqu’il avait mis la paix entre les deux camps, il ne s’était point départi un seul instant de son calme tout asiatique.

Intrigué de la morgue de ce personnage et de son influence sur la populace, quoiqu’il me parût jeune encore, j’interrogeai mon guide qui, pour faire oublier son peu de zèle pour nos bagages, au moment où ils avaient couru un si grand danger, me répondit par un long discours que je reproduis ici aussi in extenso que mes souvenirs me le permettent.

« L’homme que vous venez de voir, me dit Ynamoura, est ce que les Coréens appellent un Tsochi, c’est-à-dire un étudiant qui a passé avec succès le premier examen qui a lieu tous les ans dans chaque chef-lieu de district. Tous les trois ans, les tsochis se rendent à Séoul pour y passer leur second examen et ceux qui y sont admis ont alors droit au titre de Djincka. Quant aux tsochis qui ne peuvent se faire recevoir au second examen, ils perdent, par suite de cet échec, ce titre, et ils ne peuvent reconcourir à la capitale qu’après avoir obtenu de nouveau le grade de Tsochi. »

Le récit de mon cicerone m’avait vivement intéressé. L’obligation où sont les étudiants, qui échouent au second examen, de se représenter au premier avant de pouvoir reconcourir pour le titre de