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de leur caractère. Ils ont cette rudesse et cette simplicité d’instinct qui, mise au service d’une honnêteté dépourvue d’artifices, cache souvent une grande délicatesse de sentiments sous des dehors presque sauvages. Là encore, j’ai trouvé une excellente application de la méthode de mon savant maître en géographie, M. Ludovic Drapeyron. L’aspect rude et âpre du sol laisse deviner le caractère de ses habitants ; puis, cet effet et cette cause, agissant et réagissant tour à tour l’un sur l’autre à travers les siècles, forment l’histoire du peuple coréen, et nous expliquent pourquoi il a passé sa vie à jouer le rôle d’une proie débonnaire que l’astuce chinoise et japonaise se sont disputée sans trêve ni merci, et cela, alors que le courage sauvage des Coréens semblait plutôt les destiner au rôle de conquérant qu’à celui de conquis.

Pour trouver une porte plus belle que celle du sud, à ce que nous dit notre guide, il nous faut longer la muraille pendant un assez long trajet ; sur son sommet une foule de Coréens, réunis là par la nouvelle de la venue d’étrangers, nous regardent cheminer dans la poussière, d’abord avec curiosité, puis avec dédain, et enfin leurs sentiments à notre égard finissent par se traduire en un feu roulant de pierres. Heureusement pour nous, les hommes sont peu adroits et les pierres très petites ; mais ce qui nous étonne, c’est la masse de projectiles dont ils nous accablent, sans nous toucher. Ce n’est que plus tard que nous sûmes comment nos assaillants se les procuraient aussi facilement, perchés qu’ils étaient sur une muraille dont la plate-forme en grosses briques ne pouvait les leur fournir. Les troupes coréennes se composent, en grande partie, de frondeurs fort habiles, dit-on ; aussi, dans chaque place forte ou château-fort, on voit toujours de distance en distance, sur les remparts, des tas de petites pierres, afin que les frondeurs, qui forment la garnison, puissent trouver sous la main les munitions dont ils ont besoin pour charger leurs armes en cas d’attaque subite. C’était de ces réserves que nos ennemis tiraient leurs munitions. Par un hasard heureux pour nous, parmi la foule qui saluait notre arrivée à Toraï d’une façon aussi peu courtoise, il n’y avait aucun frondeur, car nous ne nous serions point tirés aussi facilement d’affaire si les projectiles qu’on nous envoyait avaient été employés selon les règles de l’art militaire coréen.

Enfin nous voici à l’entrée de la ville, avec plus de peur que de mal. Nous passons une première porte voûtée, et nous nous trou-