Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/74

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temple de Boudha. Les troupeaux qui paissent sur les pentes voisines appartiennent aux religieux qui l’habitent, et qui vivent tous de leur travail. Les Coréens, plus dénués encore que les Chinois de sentiments religieux, n’appellent jamais un prêtre pour assister aux enterrements ; ils ne leur font jamais d’offrandes. La seule rétribution que reçoivent ces derniers, pour les payer de la règle qu’ils s’imposent de vivre dans le célibat, de se raser la tête et de faire le service des temples, consiste dans les faibles sommes qu’ils recueillent en dansant devant la foule, dans les fêtes publiques.

Comme je paraissais étonné que le seul office rempli par les bonzes coréens fût justement un des exercices que nous considérons, en Occident, comme ayant un caractère beaucoup trop profane pour pouvoir être toléré dans des cérémonies religieuses, Zoï me proposa d’assister le soir même à une de ces danses. J’acceptai de grand cœur sa proposition ; puis nous redescendîmes dans la ville où il alla aux informations pour savoir exactement dans quel quartier de la ville il y aurait réjouissance dans la nuit.

Après un dîner servi aussi primitivement que le déjeuner, sans la pluie qui avait tenu place de dessert à ce dernier, nous nous mimes en route pour aller voir un ballet de bonzes.

Le soir, les rues de Toraï sont loin d’être propices aux promenades sentimentales ; la nuit est sombre, et point le moindre quinquet, ou même un simple rayon de lumière filtrant à travers les fentes d’une porte ou d’une fenêtre ne vient aider le promeneur à distinguer la terre ferme du domaine des eaux. Seul, le clapotement que produit la marche et la fraîcheur vous indiquent que vous passez de l’une à l’autre. La circulation est peu active, peut-être à cause de sa difficulté. Cependant lorsque nous approchons du but de notre expédition, les passants deviennent plus nombreux.

Comme fond du tableau, une scène construite d’une carcasse de sapin recouverte de branchages ; au-devant, un vaste carré de terre bien battue ; sur l’un des côtés du terre-plein, un orchestre composé de tambours en bois assourdissants et de flûtes criardes ; tout cela éclairé par les lueurs vacillantes et fumeuses d’innombrables lampions : voilà un théâtre coréen où l’on donne tout à la fois des concerts, des comédies, et des ballets. Il y avait foule : nous eûmes quelque peine à approcher de l’avant-scène. Les Coréens n’ont point ce caractère peureux de leurs voisins, les Chinois, qui cèdent respectueusement le pas à tout Européen, dès qu’ils ne sont